Jacquelyne Ledent-Vilain: « Je pourrai mettre un visage sur le nom de Lisa Simone »

Jacquelyne Ledent-Vilain en interview. © Oreste Di Cristino

Jacquelyne Ledent-Vilain a un passé chargé avec le Montreux Jazz Festival. À l’occasion du cinquantenaire du festival, rencontre avec celle qui a sans cesse œuvrer en faveur de l’accueil et du bien-être des artistes. Au programme: anecdotes et simplicité. Interview.

Vous avez une très grande responsabilité depuis de nombreuses années au sein de ce festival, à savoir celui d’assurer le bien-être des artistes. Cela doit être à la fois passionnant autant qu’ardu par moments.

Disons que quand j’ai commencé à travailler avec Claude [Nobs] en 1974, c’était pour Warner; je n’ai jamais vraiment travaillé pour le festival, même si ma relation avec ce festival à toujours été un peu confuse. Mais cela fait dix ans que je suis revenue pour m’occuper des artistes comme Claude me l’avait demandé et le travail reste somme toute très facile parce que cela fait bien 40 ans que je suis au contact de ces derniers. Il y en a d’ailleurs beaucoup que je connais mais ce qui est formidable, pour ma part, c’est que j’en rencontre constamment des nouveaux et c’est toujours intéressant de percevoir l’arrivée de cette nouvelle vague d’artiste. Mon expérience me permet dans tous les cas de savoir comment leur parler ou leur demander certaines choses. J’ai toujours dit à Antoine [Bal] (ndlr, le responsable de presse du Montreux Jazz Festival) qu’il faut sentir le moment et la manière avec laquelle on pose certaines questions parce que si l’on s’aventure auprès d’un artiste de but en blanc, il est plus facile qu’il n’écoute pas la requête et y réponde par la négative. Donc le métier nous apprend à rester patients, à observer les meilleurs moments pour approcher les artistes et généralement, ça se passe bien.

Cela fait malheureusement depuis 2013 que Claude Nobs nous a quittés mais c’est peut-être la plus grande occasion, en cette année de jubilé, de lui rendre hommage pour l’ensemble de son travail et de sa passion qu’il a mis au profit de son festival depuis 1967.

Oui, même si je crois profondément que nous sommes constamment en train de lui rendre hommage et pas uniquement à l’occasion de ce 50e anniversaire. Et je vais même plus loin; c’est dommage qu’il ne soit pas là pour vivre avec nous cette édition. Mais ceci dit, je rajoute aussi vite que je suis persuadée qu’il est avec nous dans le bâtiment; on le sent, sa griffe est apposée partout et il n’a pas disparu spirituellement. Croyez-moi ! Et c’est assez curieux, car l’année de sa disparition en janvier 2013, le tout premier artiste à se produire pour le premier festival sans Claude était Léonard Cohen. La veille de l’ouverture du festival, je les ai accueillis à Montreux – je ne le fais jamais habituellement – et Léonard et ses musiciens sont tous sortis de la voiture. C’était particulier puisque je me suis très vite retrouvée entourée par eux et ils m’ont aussitôt témoigné leur regret que Claude ne soit plus – c’est terrible, que va-t-il se passer ? Et à cet instant, j’ai prononcé la phrase qui me servira pour tout le reste du festival. Je les ai regardé et leur ai affirmé que Claude n’avait pas totalement disparu – oui Claude n’est pas là mais pensez-bien qu’il est avec nous en pensées. C’est sûr et certain. Et à cet instant, nous avions convenu tous ensemble que la meilleure chose que l’on pusse faire pour Claude et ce merveilleux festival, c’était de faire en sorte qu’il continue dans la même optique et le même esprit avec lequel il l’avait créé. À cet instant, il y eût un silence, bref et puis ils se sont tous regardés avant de comprendre que ceci était la meilleure façon de lui rendre réellement hommage – Jacquelyne, tu as raison. Par la suite, c’est une phrase que je n’ai plus arrêté de prononcer tellement les allusions à Claude étaient nombreuses. Si l’on veut réellement respecter Claude et son entreprise humaine, nous devons absolument la poursuivre dans le même sens qu’il a voulu depuis les débuts. Il fallait qu’il y ait une continuation. Et comme cette année est charnière, c’est l’occasion de prouver que les choses ont continué. Aux médias, aux artistes, au public, aux managers, aux agents, à tout le monde, nous sommes fiers d’affirmer que rien n’a été altéré. Un manager qui discutait au téléphone avec un collègue de Los Angeles était alors venu me voir – devine qui j’ai au bout du fil – et il était forcé de constater que rien n’avait bougé et c’était normal. Je dois d’ailleurs dire que toute l’équipe du festival a fait un travail considérable pour que tout puisse – réellement – continuer, continuer, continuer. Même que l’année dernière, un agent m’a interpellée en me disant que je n’avais même plus besoin de prouver que Montreux était resté… Montreux. La question ne se pose même plus. Et tout cela est formidable et il faut reconnaître les efforts de l’ensemble de l’équipe qui œuvre en faveur du festival.

Jacquelyne Ledent-Vilain en interview. © Oreste Di Cristino
Jacquelyne Ledent-Vilain en interview. © Oreste Di Cristino

Honneur aussi aux artistes qui ont également favorisé l’emprise de poursuite du festival dans le même esprit autrefois prôné par Claude. Je pense notamment à Quincy Jones, qui a longtemps co-produit le festival et qui sera au Stravinski le 8 juillet pour une célébration bien particulière.

Bien sûr ! Il y en a pas mal qui sont venus: les Santana (ndlr, 14 juillet), les ZZ Top (4 juillet), Herbie Hancock (3 juillet), etc… Je pense que tous voulaient – c’est clair et net – que festival continue de cette manière et qu’il garde l’héritage – the legacy – de Nobs. Tout le monde revient inchangé, comme si Claude était encore avec eux et avec nous. C’est formidable ! et il faut dire que les gens sont très attachés à Montreux – cette carte postale unique avec le lac, les montagnes et son air vivifiant – aussi parce que quand ils se baladent dans les rues, il n’y a pas d’émeute autour d’eux; ils apprécient beaucoup. D’ailleurs, beaucoup y viennent avec leurs enfants parce qu’ils savent qu’ils peuvent aller n’importe où sans être dérangés. Par ailleurs, j’ai toujours entendu de la bouche des musiciens que ce qu’ils préféraient à Montreux, c’est son public très connaisseur qui en demande beaucoup aux artistes – on ne peut pas faire n’importe quoi, ça ne va pas passer. Mais ils aiment ce défi – challenge – d’être confronté à ce public très averti, avisé, qui fait la part des choses et apprécie les bonnes démonstrations – sans crier pour un rien. Pour eux, c’est ce qui fait la très grande différence entre le Montreux Jazz Festival et les autres festival, ceux en plein air par exemple. C’est d’ailleurs une volonté de Claude que son festival ne soit pas en plein air. Il aurait pu changer de vision – mettre une tente à l’extérieur – dès que l’événement avait gagné en notoriété et était devenu très connu. Mais il ne l’a jamais fait parce qu’il a voulu continuer de gérer son festival de manière humaine; le son est d’ailleurs formidable en salle – les équipes techniques sont extraordinaires. Tout cela pousse les artistes à affirmer – je l’ai entendu je ne sais combien de fois – que le public montreusien était connaisseur – il va apprécier si on joue telle note ou tel accord. Il y a donc un grand échange entre le public et les musiciens et il n’est pas admis de faire de « la soupe ».

Il y a beaucoup d’artistes historiques du festival qui vont se produire sur la scène du Montreux Jazz Festival. On cite Charles Lloyd, Alexander Monty… mais aussi Lisa Simone, la fille de l’incontournable Nina Simone qui avait figé les festivaliers lors d’un concert souvenir en 1976. C’est l’exemple d’une communauté qui se donne inlassablement rendez-vous à Montreux.

J’aime beaucoup la touche apportée à cette édition avec le tout premier concert donné au Casino ravivant tout le versant historique du festival, avec Charles Lloyd qui plus est qui était l’un des premiers artistes à venir en 1967. Et, bien sûr, la venue de Lisa est très particulière (ndlr, 9 juillet à l’Auditorium Stravinski). Je me réjouis, à titre personnel, de la rencontrer aussi parce que quand Nina venait en Suisse, on l’avait au bureau toutes les cinq minutes. Dieu sait à combien de reprises, elle est venue pleurer sur mon épaule parce qu’elle n’arrivait pas à établir le contact avec sa fille. C’était compliqué. Et cette année, je vais réellement pouvoir mettre un visage sur un nom – elle avait 13 ans à l’époque. Ça va donc être un moment très spécial, je dois dire. Et de manière plus générale, c’est bien qu’il y ait ce mélange d’artistes qui ont forgé l’historique du Montreux Jazz Festival accompagnés de tous ces talents qui arrivent. C’est primordial parce que l’on ne peut pas toujours avoir les mêmes chaque année. Je vois le Lab qui est rempli de jeunes talents qui foulent progressivement les planches auprès de grands noms. C’est très excitant ! De plus qu’au Club, des artistes comme Steps Ahead (1er juillet) ou encore Al Jarreau (3 juillet) pourraient se produire dans des plus grands espaces mais qui vont tâcher de faire quelque chose de spécial dans cet antre plus restreint. Tout cela fait que Montreux est tel qu’il est.