Nissa Kashani: « Hollywood a été le meilleur moment de mon existence »

Nissa Kashani. Source: nissakashani.com

Au Lido Comedy & Club, Nissa Kashani a présenté son nouveau one woman show « Going to Hollywood », une véritable pièce de sa vie, des tréfonds de la dépression jusqu’à la gloire de sa nomination à la 87e cérémonie des Oscars avec le film « Parvaneh », réalisé par Talkhon Hamzavi en 2015. Rencontre avec la Suissesse d’origine iranienne.

C’est un spectacle tout neuf (depuis 2015) que tu as écrit juste après avoir été nominée aux Oscars (pour le film « Parvaneh » en 2015 dans la catégorie « Best Short Film Live Action« ) ?

Pas tout-à-fait. L’idée me trottait dans la tête à partir de six mois après la cérémonie et elle a fait son chemin d’écriture par la suite, jusqu’à ce soir. J’ai conclu en quelques sortes mes essais au Lido. Tout le monologue du début dans lequel je fais référence à ma dépression sur un tapis de course électronique était au départ inscrit sur 16 pages de format A2 et j’en ai gardé seulement une et demi. J’ai du passer outre les rivières de choses trop lourdes que j’ai vécues et il faut un décalage entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. C’est là que ça devient intéressant. Donc je ne pouvais pas écrire ce spectacle à Hollywood, puisque je devais encore vivre Hollywood. Ensuite, comme je le dis dans le spectacle, ce n’est pas tout non plus d’être à Hollywood, encore faut-il en revenir.

Tu critiques complètement ce monde de stars, un peu autarcique. Tu as quand même apprécié les États-Unis malgré tout…

Bien sûr, mais disons que c’était un « love-hate relationship«  (ndlr, relation partagée entre l’amour et la haine). J’ai beaucoup de fascination pour les États-Unis; Hollywood est tout de même fabuleux en ce qu’il représente un vivier incroyable de chef-d’œuvres cinématographiques et les Oscars sont la plus ancienne cérémonie qu’il existe (ndlr, 88e édition en 2016). C’est devenu une institution, on ne peut pas aller à l’encontre de Hollywood et, en même temps, on peut; c’est ce que je retranscris dans mon spectacle. Tout le monde en est conscient. C’était d’ailleurs tout le problème de Leonardo DiCaprio; cet engagement dans un vrai bras de fer envers les Oscars qui lui refusaient depuis tant d’année la distinction alors qu’il la méritait depuis son premier film. Autant j’adore ce milieu tout autant que je le déteste pour ses nombreuses personnes très hautaines et désagréables que l’on rencontre. Tant de belles matières pour en produire un spectacle.

À qui s’adresse ton one woman show, à défaut que l’on soit ici au Lido dans un contexte très francophone, sinon très suisse ?

Au monde, je dirais. Je pense personnellement dans la globalité. Je ne veux pas me permettre de penser que mon spectacle puisse déplaire à quelqu’un. J’aimerais que cela plaise à tout le monde. Un quart, voire un tiers de mon spectacle, avec parfois des scènes entières, est d’ailleurs en anglais. Je crée différents univers linguistiques et c’est ce qui me plaît dans l’exercice. Je suis partie du principe que tout le monde parle, ou du moins comprend l’anglais. J’en suis persuadée et j’essaie de faire de mon mieux de ce point de vue-ci pour rendre mon travail accessible pour tout le monde. J’avais, au tout début, fait une première version du spectacle qui durait 15 minutes à l’Espace Saint-Martin à Lausanne devant 50 personnes, entièrement en anglais en compagnie d’une comédienne qui m’accompagnait sur scène (c’était dans le cadre d’un festival). Une dame, portant la soixantaine m’avait alors approchée pour m’avouer qu’elle n’avait pas compris, mais qu’elle avait du moins compris qu’il fallait comprendre et cela m’a donné énormément de plaisir. J’aime voir cette langue anglaise en application, aussi car elle témoigne de la globalité que j’essaie d’apporter au spectacle.

On perçoit les deux extrêmes dans ton œuvre, deux parcours de vie à la fois si opposés que complémentaires. Comment as-tu construit et imaginé ce que tu allais montrer sur scène ?

Je travaille beaucoup avec des post-it que je noircis et que je colle sur des grandes feuilles pour pouvoir plus aisément les déplacer ensuite. C’est Mathieu Bertholet, un réalisateur avec lequel j’ai travaillé (ndlr, notamment pour les pièces de théâtre « Rosa, seulement » au festival in Avignon en 2010, puis « L’avenir, seulement » à Paris, Genève et Fully en 2011) qui m’a en quelque sorte initiée à cette pratique et cela fonctionne parfaitement. Donc, j’ai résumé mon spectacle sur des post-it en un triangle identifiant les trois pôles de ma vie: Hollywood, dépression, star. Et les deux opposés – Hollywood et la dépression – étaient destinés à être mis en parallèle dans ma création. Aussi car il y a plein de dépressifs à Hollywood. Pleins de gens dopés aux médicaments, malheureux ou hommes-à-tout-faire qui possèdent douze métiers à eux-seuls (journalistes, producteurs, coproducteurs, figurants, acteurs, traîneurs d’acteurs, cascadeurs, réalisateurs et j’en passe). Et pourquoi ? parce qu’ils doivent combler un vide énorme quand on est pas connu à Hollywood. C’est cruel et je voulais ajouter cette cruauté dans ce sentiment de dépression qui n’est pas considéré comme un état maladif. Ce n’est pas une psychose, c’est une névrose pour certaines personnes. Et pourtant, pour ma part, c’était le pire moment de ma vie et Hollywood le meilleur. Il me fallait donc me réapproprier ces deux mondes, celui du bien et du pire.

Hollywood et le Lido Comedy & Club: par moments similaires ou complètement à l’opposé ?

Le Lido est particulier: c’est une salle de rodage, petite et conviviale. Mais dans l’absolu, ce n’est même pas la salle qui compte; si j’avais une sono adéquate, je jouerais mon spectacle dans la rue. J’adorerais même. Et puis le Lido est très parisien dans la programmation, rien de plus à l’opposé d’un Hollywoodien qu’un Parisien (rires). Mais ce qui est similaire en revanche, c’est l’ambiance très old school, le côté vintage de la salle qui rappelle les années Marylin « Monroesques » de Hollywood qui apparaissent à mon sens comme les années de gloire du lieu. Ses comédies musicales filmées avec les Fred Astaire, Mark Sandrich, Ginger Rogers qui rappellent l’opéra, sont parfaites, à l’image aussi de « West Side Story » qui a si bien vieilli. Et le Lido, cet ancien cabaret, me rappelle ces années-ci de Broadway. Sauf que ce soir ce sont la famille et les amis qui sont venus en nombre me soutenir. Et c’est tout aussi – sinon plus – touchant de présenter mon spectacle devant toute une partie de ma vie qui me connait, m’a connue, me soutient, m’a suivie tout le temps et voit finalement le résultat sur scène. Certains ne savaient d’ailleurs pas que j’étais allée aux Oscars et ils l’ont découvert ce soir.

Comédie musicale, stand-up, chant, danse, tu maries finalement tous ces différents styles ensemble. Un vrai show hétéroclite !

C’est mon univers. Je passe d’une chose à une autre, je complète mon monde. J’ai besoin de retrouver tous ces styles dans mon spectacle. Je veux de la danse, je veux du chant, je veux courir sur un tapis. Je veux ce type de meuble-ci peints avec ces couleurs-ci de mes propres mains. Je veux tout. C’est comme les post-it, un patchwork; je rassemble tout de manière aléatoire, tout en construisant avec une logique qui est la mienne.