De retour une dernière fois au Lido Comedy & Club le week-end dernier avant sa fermeture en juin 2016, l’humoriste français Cyril Etesse est venu présenter son tout nouveau spectacle « Au Temps des Monstres », en transition avec « Shaolin » avec lequel il a sillonné l’entière Francophonie pendant déjà huit ans. Toujours plus dynamique, le spectacle s’autorise également quelques moments de calme, histoire de nous replonger dans le monde dans lequel nous vivons. Et c’est toujours aussi drôle.
Cyril Etesse a rangé ses habits de moine shaolin ; loin de sa zénitude mais tout aussi proche de sa philosophie. Avec son nouveau spectacle « Au Temps des Monstres », le Marseillais change progressivement de ton, canalise son énergie mais surtout, il se met sur l’offensive. Après huit ans de tournée avec son précédent spectacle « Shaolin », Cyril a décidé de dénoncer et de livrer enfin ses pensées sur une société en décrépitude. Mais il le fait avec subtilité et poésie, professionnalisme et talent. Toujours est-il que la transition s’opère petit à petit – avec quelques nouveaux sketches – mais l’esprit, lui, est déjà bien visible. Pour l’humoriste, il était temps d’explorer de nouvelles pistes : « Le spectacle est en rodage. J’ai gardé deux sketches du précédent spectacle mais la suite est déjà écrite. Je préfère y aller progressivement. C’est bien de démontrer qu’on arrive à se renouveler et le public demande aussi de la nouveauté », affirme-t-il. Parmi les classiques que l’on retrouve dans son seul-en-scène figure le typique sketch de cette vieille hors de son temps, hystérique mais bien expressive. Une scène forte d’émotions pour l’humoriste qui devra, avec le temps, décider de s’en séparer pour laisser champ libre à de nouvelles créations : « C’est un sketch que j’aime bien. C’est le premier sketch avec lequel j’ai joué mon tout premier festival. Il y a un caractère affectif d’autant plus que je l’ai écrit à mes tout débuts en 1998. Mais il est difficile de faire vivre un sketch longtemps, il n’a pas la même force qu’une chanson ou un gros tube. Mais il sera toujours à même de revenir un jour ». Voilà donc que l’on perçoit Cyril Etesse à un moment important de sa carrière ; dans une lignée qui, à défaut d’être entièrement revisitée, prend un virage considérable par rapport aux temps de l’avant-Ruquier, soit aux prémisses de sa carrière bien avant la participation télévisée à « On n’demande qu’à en rire » sur la chaîne du service public français. Le Marseillais s’autorise plus de liberté sur scène et ça se voit. Moins introverti et encore plus dynamique, le comédien, plus qu’autre chose, repousse ses limites et se redécouvre sur les planches. Ainsi, il semble clair qu’avec « Au Temps des Monstres », lesdits monstres endossent une pluralité de significations que l’on décrypte au fur et à mesure de son one man show.

Un monstre, des monstres
« Tous les sketches que je fais pour l’instant sont tous dans l’énergie. Je cours dans tous les sens. J’aurai besoin de moments un peu plus calme par la suite », affirme Cyril Etesse. Le rôle de ce monstre survitaminé qu’endosse l’humoriste une heure et demie durant se veut être très culturel mais aussi très déterminé. Cyril Etesse sait pertinemment ce qu’il souhaite prouver face au public, à savoir lui offrir un « monstre » de variété et de diversité qui n’était pas nécessairement à l’œuvre dans son précédent spectacle : « C’est un spectacle qui va encore grandir et se transformer. J’avais vraiment envie de faire de la nouveauté après « On n’demande qu’à en rire » », témoigne-t-il. Mais cette nouveauté est loin d’être banale, crue, insipide. Bien au contraire, elle est réfléchie, pensée à l’aune du contexte social et politique qui dérobe sa France. Voilà qu’il accède à un autre palier sur scène : dénoncer les injustices et les absurdités sans se montrer moralisateur pour autant. Affectif et sensible, Cyril Etesse se livre, tout simplement. Dans ses nouvelles apparitions, son énergie, ponctuée de moments un peu plus calmes, parfois très cérémonieux, est calibrée au rythme de ses émotions : « En France, on ressent un climat au quotidien qui est très étrange dans les préludes de 2017. C’est chaotique ce qui se prépare et inconsciemment, j’écris des choses qui dépeignent l’absurdité totale du quotidien. Tout cela s’est transformé. C’est le moteur des monstres dans un spectacle plus moderne et plus en phase avec ce qu’il se passe autour », affirme-t-il. Dans le sillage des attentats de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 et du 13 novembre 2015 qui ont frappé le cœur de Paris, le Marseillais dépeint une époque un peu folle, encore une fois, un peu monstrueuse. À tel point que l’humour en est parfois dissimulé. À l’image du sketch final – dépictant le personnage d’un dictateur peu éclairé au pays de la Moutonie – l’humoriste moque la réalité et provoque les émotions : « En général dans un spectacle d’humour, on veut rire, oui. Si dans « Shaolin », on était toujours dans l’énergie, dans ce spectacle, il y a en effet des moments plus solennels, notamment dans le sketch final. Et c’est complètement voulu. J’ai été marqué par ce que l’on vient de traverser et ce sketch démontre bien l’essence du spectacle, à savoir dénoncer les idées auxquelles je suis complètement opposé. Le personnage que j’imite n’est pas une attaque frontale à quiconque. Je ne cite d’ailleurs personne. À aucun moment, je ne parle de partis politiques. Donc de ce point de vue-ci, je laisse la libre interprétation. Je suis complètement apolitique et j’ai voté autant à droite qu’à gauche dans ma vie. Mais force est de constater que le gouvernement est arrivé à un tel niveau d’impopularité qu’il n’est plus crédible du tout. En France, c’est un vrai chaos. C’est assez noir ce qu’il se prépare et le problème remonte à longtemps », avoue-t-il. Nous voilà donc envahis par un sentiment de soulagement à l’écoute du spectacle car Cyril Etesse parvient tout aussi bien à faire rire qu’à stimuler notre réflexion. Et c’est très fort. « Je finis sur une note différente concernant ce « Temps des Monstres ». Je rends tout aussi hommage au monstre du cinéma Charlie Chaplin, ce qui clôture et résume bien l’entier du spectacle ».
Le rire, cette formidable échappatoire
Mais la réalité est-elle aussi noire? le sera-t-elle l’année prochaine, dans deux ans ? à la fin du prochain quinquennat français en 2022 ? « On n’est plus capable de voir la différence des gens et ce depuis longtemps – débute Cyril Etesse avant de poursuivre – Je serais heureux de dire que mon spectacle ne soit plus le même dans un an, mais malheureusement, ce ne sera pas le cas. Les hostilités se déclenchent pour tout, nous ne sommes plus capables de vivre ensemble ; on s’épie, on se juge et c’est ce qui fait que le climat est très malsain. On cherche des échappatoires pour en rire et on finit par en parler sans trop le vouloir ». Mais Cyril reste très prudent. Il ne communique aucune information sur ses tendances politiques – ce qui serait fort contre-productif selon lui – mais surtout, veille à ne jamais donner de leçons : « Je ne m’engage pas politiquement. Dieudonné est un exemple de cabale que j’essaie d’éviter. Je pense sincèrement que les artistes n’ont pas à dire pour qui ils votent. Mais on peut faire un bilan de la société avec objectivité. On a le droit de trouver le monde actuel un peu triste. Et sur ce sujet, je ne ressens pas non plus le besoin d’être drôle de A à Z. Cela me permet aussi de me poser un peu tout en surprenant le public », affirme le Marseillais. Aussi car le risque de tomber dans la facilité est grande ; Cyril s’en prémunit, aussi car il cherche à se démarquer des nombreux humoristes actuels : « Je trouve que la plupart des humoristes font souvent la même chose et ils sont tous des clones. On ne distingue plus les différents humoristes, ils sont tous très drôles mais l’originalité a disparu. C’est toujours le même ton et le même phrasé, micro à la main réduisant l’artiste à un raconteur de blagues. J’essaie de ne pas tomber dans le discours un peu classique et similaire. [Laurent] Ruquier me trouvait atypique justement pour mes différences ». Jugeant trop nombreux les humoristes qui tentent de copier indéfiniment Gad Elmaleh ou des comiques américains qui sont devenus l’influence majeure comme Eddie Izzard ou Chris Rock, Cyril Etesse ressent le besoin d’évoluer sur scène au fur et à mesure que son show avance. C’est alors que, tout en dispersant ses énergies, l’humoriste parvient à déployer ses ailes sur les planches et à s’accaparer l’attention du public. Et ce n’est pas fréquent : « Je suis un grand trouillard dans la vie et j’ai besoin de me rassurer avec les premiers rires. Si tel est le cas, je parviens à engranger de la confiance. J’aime bien parler avec les gens et me retrouver en funambule sur une corde. Cela me permet de repousser la monotonie. J’adore que le public me tende des perches et improviser parfois me permet de gagner la salle. Les gens se sentent aussi inclus sans les mettre mal à l’aise ». Ôter le voile entre le public et l’artiste relève d’une agilité bien particulière et Cyril Etesse la possède par nature. Très calme et introverti dans la vraie vie, l’humoriste témoigne avec caractère et une bonne dose d’endurance tout son bonheur sur scène : « Ma vie est sur scène – débute le Marseillais – J’étais très introverti étant jeune et mon personnage est apparu très tardivement, ça a pris bien dix ans pour trouver cette folie et cette rapidité qui m’a affirmé aux yeux d’un public et des professionnels. Il a fallu beaucoup de patience, de travail et un peu de sacrifices aussi. Mais maintenant, je m’éclate sur scène ». Et pour couronner le tout : Cyril est d’autant plus toujours détendu quand il touche terre en Suisse.