« Due Grandi Giocatori », voilà ce que sont Étienne Maître et Félix Landis, membres du groupe genevois Lipka. Unis dans un projet commun, les deux artistes ont sorti, le 3 juin 2016, leur nouvel album intitulé « Grande Giocatore » et ambitionnent désormais d’étendre leur hétérodoxie musicale hors des limites genevoises. leMultimedia.info a rencontré le duo prometteur qui nous propose un voyage pour le moins insolite.
C’est l’histoire d’un tunnel que l’on traverse, d’un inconnu que l’on tente d’explorer, d’un mystère qui gardera ses plus profonds secrets dans une obscurité la plus sombre. Avec l’album « Grande Giocatore » du duo genevois Lipka, on (re)découvre l’insolite. Félix Landis et Étienne Maître nous en avaient déjà offert un premier avant-goût à l’occasion de la sortie de leur premier album éponyme « Lipka » en 2013. Avec « Grande Giocatore », autant dire que la mécanique du début a été pleinement rodée, leur univers musical très hétéroclite a eu le temps de se définir et leur esprit a suivi le sillage voulu par leur inconscient musical. Nous voilà donc dans ce tunnel. Dès le prélude, à l’écoute de « Morning », premier titre du nouveau disque sorti le 3 juin 2016, on navigue en eaux troubles, sombres comme la nuit. Et c’est dans cet espace non exploré, inconnu que les deux jeunes artistes de 27 ans ont voulu nous transporter. Le ton de départ, les rythmes sont ralentis, comme mis en alerte. Nous entrons indéniablement dans le préambule d’un nouveau monde, dans le purgatoire d’un enfer nouveau, dans un passage souterrain, ce tunnel qui nous enivre. « C’est un album qui n’a pas été fait en tant qu’album – nous explique Félix Landis avant de continuer – Étienne a fait quelques morceaux de son côté et j’en ai fait du mien. Mais la trame de l’album est basée dans cette optique-ci ; entrer dans un tunnel la nuit et distiller la « glauquitude ». « Morning » au début et « Dubplate » à la fin sont des morceaux de jour et le reste se passe dans la nuit. Si l’on faisait un clip, ce serait comme cela qu’on le réaliserait ». Le ton est donné, le chemin tout tracé depuis le premier album : « On a évolué chacun de notre côté un peu. Mais nous n’avons pas pensé à évoluer ensemble. Nous avons des intérêts musicaux assez vastes et nous avons aussi une production chacun de notre côté. Mais une chose est sûre, après notre premier album, nous avons su quel était le concept de Lipka. C’est comme si nous avions un recul éclairé pour définir d’instinct quels morceaux peuvent faire partie du projet et lesquels sont plus excentrés », nous précise Félix Landis, le guitariste et chanteur du duo. Inspiré par ses antécédents punk-rock, Félix n’a toutefois pas misé sur une musique punk traditionnelle mais a favorisé un univers musical plus hybride en compagnie de son ami d’enfance Étienne : « J’écoutais déjà un peu de reggae mais lui (Étienne) n’écoutait absolument pas de punk. On écoutait aussi du funk. Donc chacun avait déjà un intérêt musical assez vaste. Et on a découvert ce que l’on allait faire dès lors seulement qu’on a commencé à faire de la musique ensemble ». Nous voilà donc avec « Grande Giocatore » dans les mains, cet opus inventif et créatif à mi-chemin entre le dancehall ragga et le punk-rock tout en côtoyant le hip-hop. Félix Landis et Étienne Maître nous promènent ainsi sur la vaste étendue d’un panorama musical encore trop peu exploré. Entrons donc dans ce souterrain qui nous intrigue.
« Quand il s’agit de faire du Lipka, on fait du Lipka »
« Etienne est un ami d’enfance et je lui ai proposé de faire de la musique. Notre premier album « LIPKA » est vraiment la résultante de notre collaboration libre de deux personnes, basée uniquement sur l’idée de faire de la musique ensemble. L’univers s’est auto-défini et est venu très naturellement », nous explique Félix Landis. Libre et naturel, voilà qui caractérise au mieux le travail des deux jeunes artistes. Et pourtant, singulière particularité, il ne correspond pas nécessairement au style musical qui s’échappe de leurs écouteurs : « Ce que l’on produit est une hybridation de nos deux personnalités mais il ne ressemble pas forcément à ce que l’on a habitude d’écouter », nous informe Félix tout en admettant être très minutieux dans l’encadrement et la direction portée au projet. Si le mélange des styles est opéré dans l’album – prenons l’exemple de « Change », musicalement très dansante, « Cops » appartenant à un dancehall ragga originel et « Monkeys » qui est perçu dans un registre plus punk – celui-ci est réalisé avec beaucoup d’attention permettant la viabilité de cet univers à la fois si complexe et parcimonieux : « Nous ne modifions jamais des chansons pour qu’elles correspondent au concept – nous explique Félix Landis avant de poursuivre – En revanche, nous sélectionnons les chansons au préalable. Dans « Change », « Cops » et « Monkeys », on retrouve le même effet de guitare ; la basse est très lourde et l’effet de production est le même. « Worth » va aussi dans la même lignée et entre dans la catégorie des musiques moins électroniques ». À lui, en outre, de préciser que, si les styles sont très différents, « il y a une influence réciproque entre nous. Quand il s’agit de faire du Lipka, on fait du Lipka ».
Une histoire de collaboration
Étienne Maître et Félix Landis ont également tendu l’oreille aux talents qui ont conduit en leur compagnie certains morceaux phares de leur disque. On y retrouve, par exemple, la Polonaise Barbara Przybyla qui les a accompagnés à la harpe pour le titre introductif « Morning », Giovanni (Wolves), Ras P (Pepinazo) et last but not least, la Genevoise Danitsa qui a offert sa voix à « Bottle », dont l’air est teinté d’un sublime voile de tissu noir, fin mais pour le moins ténébreux. Proche du label, la talentueuse chanteuse a su mettre à profit son style envoûtant et sa charmante voix dont le timbre correspondait au doux mélange des styles souhaité pour ce nouvel album : « Danitsa est une connaissance et elle voulait faire de la musique – débute Nicolas Meury, responsable du label Evidence – En 2012, nous avons enregistré nos premiers morceaux avec elle et ça a bien fonctionné. Du coup, on a poursuivi notre collaboration. C’est aussi très intéressant car elle est plus dans un univers soul, hip-hop et l’intégrer sur une instrumentale qui est plus électronique correspond parfaitement à l’essence de Lipka ». Mais les histoires de collaboration ne s’arrêtent pas là. Reste encore à éclaircir la symbiose qui réside entre les artistes et leur label Evidence. À le comprendre ainsi, ensemble, ils forment un tout très homogène : « Nous avons créé Evidence dans le cadre du projet Lipka – nous explique Nicolas Meury – Étienne et Félix avaient leur album et je suis arrivé pour le finaliser. Au départ, nous avions chacun des projets séparés et l’idée était simplement de réunir nos forces. On a créé le label Evidence et on s’est toujours plus orientés dans le reggae dans notre production mais je pense que nos affinités musicales nous ont tous rapprochés. Evidence est donc lié à Lipka, il a tenté d’homogénéiser tous les morceaux, polir le tout et le rendre plus cohérent. Et comme nous sommes très proches, le développement est très intéressant ». Evidence Music est alors bien plus qu’un label, il réunit dans les liens sacrés de la musique l’ensemble d’une communauté autarcique et autonome. Evidence et Lipka, voilà les deux parties d’un mariage réussi comme nous le confirme Félix Landis : « Les deux entités sont entremêlées. Nous n’avons pas une relation de label usuelle. Ensemble comme dans une famille, nous allons tous dans la même direction et nous voulons garder un contrôle créatif dans la production, dans la composition et dans le mixage. Nicolas est ingénieur son de formation et chacun a son domaine de compétence. On est très symbiotiques. Les gens qui participent à Evidence, à Lipka et à tous les efforts musicaux ont fait leur preuve par leur fiabilité et leurs compétences. On essaie de s’entourer aussi bien que l’on peut. On veut construire ensemble un projet commun ». C’est donc dans cet effort commun que le projet entier parviendra à primer les deux « Grandi Giocatori » que sont Étienne Maître et Félix Landis.