Le « Maître » du punk français depuis 1982, Gogol Premier (de son vrai nom Jacques Dezandre) a véritablement électrifié la salle du Lido Comedy & Club vendredi et samedi soir dans le cadre de sa tournée de rodage intitulée « Medium ». En compagnie de ses musiciens, ancien du « Kabaret Punk », Gogol Premier a offert délire et divertissement 25 ans après son dernier concert à Lausanne. Rencontre avec celui que l’on surnomme le « papunk ».
Gogol Premier a démarré le punk en 1982 avec son premier album à succès « Vite avant la Saisie ». Un album qui a été enregistré avec ses musiciens de l’époque, formés dans le groupe « La Horde » avec lequel Gogol Premier s’est produit quelques années avant de collaborer avec d’autres groupes. Parmi ceux-ci, « Les Électrodes » dès 1984 avant de produire le « Kabaret Punk » et maintenant « Medium » en compagnie du violoniste Olivier Orient et le guitariste John Van der Valk. Ayant passé la majeure partie de sa carrière à produire et interpréter le punk à sa manière, Gogol Premier a vu grandir le style musical (lié au mouvement culturel contestataire et anarchiste) depuis les années 1970 jusqu’aux débuts du 21e siècle. Le genre musical punk-rock a progressé dans une moulure plus spectaculaire qu’à ses débuts, comme le confirme Gogol: « C’était différent avant, même si, dès le début, j’aimais bien faire le show. Au début, on ne faisait que de la musique et on ne faisait pas de spectacle. Personnellement, j’aime bien les formes de mise en scène et c’est pour cela que j’ai créé un personnage, Gogol Premier, dans lequel je me suis imprégné et j’ai mis ce que je voulais être et ce en quoi je voulais m’engager« . Comme toute forme d’art, la musique et son style punk ont laissé derrière eux un sillage historique dont il faut naturellement rendre compte le contexte et les implications de leur naissance. Comme le témoigne Gogol, « à l’époque, j’avais quelques problèmes existentiels et c’est notamment pour cela que l’on se lance dans l’écriture de chansons« . Une carrière de punk qui, à l’aune des débuts en 1960-70, ont donné la parole à toute une catégorie de personnes autrefois marginalisées. Voilà également qui donne sens au nom de sa tournée « Medium », dont les significations sont plurielles: « Médium est à la fois un média mais aussi une manière de communiquer sans forcément parler (communication par des ondes que l’on capte). Ainsi, « Medium » se veut être, en quelque sorte, mon journal sur scène car il est indispensable pour moi de pouvoir communiquer« , nous confirme le « papunk ».
Le punk et ses différentes facettes
« Pour moi le punk est resté le même« , nous affirme Gogol Premier au sortir de scène du Lido Comedy & Club samedi soir. Mais il n’omet pas de préciser que le style musical regroupe « toute une flopée de mouvements et de groupes« . Ainsi au-delà des styles et des genres, de nombreux « punk » ont vu le jour depuis la fin des années 1960. À commencer par les nombreuses divergences qui qualifient aussi bien le punk-rock anglophone que le francophone: « Tout dépend de quel punk on parle: l’anglais ou le français. Des groupes de punk, même s’il en existe pas plus que ça, on peut tout au moins délimiter leur provenance. Chez les anglais, il y a les Sex Pistols (ndlr, apparus en 1975), The Clash (ndlr, incarnant le punk politique et social de 1976 à 1985) ou encore aux États-Unis, Jello Biafra, le chanteur des Dead Kennedys (1978-1986 et réapparu en 2001). En France, on peut citer les Béruriers noirs (ndlr, groupe phare des années 1980) qui ont donné vie au mouvement alternatif français« . Et puis il y a Gogol Premier; ses musique « ont la couleur du punk, sans être entièrement du punk non plus« , nous confirme ce dernier. Voilà toute la particularité et le modernisme incarné par le personnage: « C’est pour cette raison également que l’on m’appelle le « papunk » (ndlr, pas punk) ». Au Lido, Gogol Premier a incarné à la perfection ce pluralisme tendanciel. C’est avec douceur et solennité que le chanteur a interprété « Venus du Lac Léman » et « Narco », balises de sa tendance poétique. Le second titre revêt par ailleurs une émotion toute particulière puisqu’il est notamment dédié à Michel Paul, l’un des chanteurs du groupe « Les Porte Mentaux », décédé « trop vite » en 2005 à l’âge de 44 ans. Il avait également joué dans le film « Tchao Pantin » de Claude Berry en compagnie de Coluche et dont Gogol Premier et le groupe « La Horde » avaient composé la bande son en 1983: « On avait même fait un concert hommage au Bataclan avec tous les groupes punk de l’époque et cela permettait également de recueillir de l’argent pour sa veuve parce qu’elle n’avait pas de travail« , nous confie Gogol Premier.
« Le succès est un état. On ne peut pas le mettre dans une bouteille. Ce soir, on a tous eu du succès. C’est un état qui n’est pas durable »
Puis, c’est dans un registre plus ésotérique qu’il a interprété sa chanson « Vampire Vampire », loin de la saynète revendicatrice politique. Bien au contraire, cette chanson témoigne de toute la croyance qui envahit l’esprit de Gogol Premier: « Sur terre, chacun a une mission, et si on a accompli ce que l’on avait à faire, on peut avoir la chance de ne pas revenir – explique-t-il avant de continuer – Je crois, bien sûr. Je crois et je cherche surtout. La seule certitude, c’est qu’il y a quelque chose d’autre après la mort, malgré l’absence de preuves matérielles. Mais personnellement, je préfèrerais ne pas revenir« . Jugeant notre passage sur Terre lassant, Gogol Premier est convaincu d’une seule chose: la présence de plusieurs dimensions qu’il est nécessaire de visiter à un moment ou à un autre. Et ce malgré le succès ? « Le succès est un état. On ne peut pas le mettre dans une bouteille. Ce soir, on a tous eu du succès et il n’est pas durable« , explique-t-il. Enfin, une troisième tendance caractérise le style du chanteur; on pourrait la nommer « parodie de la disco » car Gogol est un personnage qui aime bouger et danser. Mais il est tout aussi inéluctable de rendre compte ses « ambitions » et ses « revendications » politiques, notamment à l’écoute des paroles de son titre « Le Premier Président Gogol » qui tiraille ses sentiments à l’égard des professionnels de la politique française: « Il y a des choses que je déteste mais que j’aime aussi. Par exemple, les politiciens, je les déteste parce qu’ils arnaquent le système mais s’ils faisaient bien leur travail, on devrait les aimer« , argue-t-il. Un message plus qu’ouvert à la classe gouvernementale et parlementaire de France.
En France, un système politique déloyal
En Suisse, il est état de ce que Gogol Premier appelle le « conseil des sages » en référence à son système décisionnel tout particulier. En effet, le recours fréquent aux référendums et plus particulièrement aux armes de la démocratie directe se démarquent en tous points du système présidentiel français. C’est ainsi que la Suisse représente pour Gogol Premier un exemple de « système » à suivre: « Je suis en faveur d’une multidémocratie. Par exemple, si l’on pouvait voter sur internet, on éliminerait tous ces partis et tout le monde pourrait voter (ndlr, le vote par internet est limité actuellement aux Français de l’étranger et seulement à l’occasion des élections législatives ou des conseillers consulaires en France) », dit-il. Des idéaux qu’il partage sans relâche dans les paroles de sa chanson « Le Premier Président Gogol » tout en caractérisant le système français d’obsolète. En cause, la professionnalisation des élites politiques et le creusement croissant du déficit public.
« Nous on veut aller à l’Élysée. […] Amis confiez-moi le pays, on fera des Gogol parties, le travail sera partagé, tout le monde pourra manger, soyons optimistes et en forme, voilà la nouvelle réforme, soyons bons et généreux et le pays sera heureux »,
Paroles de la chanson « Le Premier Président Gogol »
« En France, les politiciens sont professionnels et ne sont pas défrayés comme en Suisse – affirme Gogol Premier avant de poursuivre – C’est compliqué parce que la France a une dette astronomique, qui emplirait 88 terrains de football avec des liasses de 500 euros. La dette a débuté à l’époque de Louis XIV quand il a construit Versailles, elle a passé la Révolution Française en 1789 et ensuite l’État n’a plus stoppé sa descente aux enfers, surtout après la fin de l’étalon-or (ndlr, la fin de la convertibilité de la monnaie en or après la proclamation de la fin des accords de Bretton Woods en 1971). La monnaie n’est restée que sous forme de papier« , explique-t-il. Une situation fort inconvenante pour l’ensemble de la population française, mais plus particulièrement pour les intermittents du spectacle: « La situation des musiciens est déroutante en France alors qu’eux aussi, ils doivent manger. Il faut avoir 5o cachets pour toucher la sécurité sociale. Ce qui fait que tu peux te produire dans trois concerts à l’Olympia sans en être pour autant considéré comme musicien alors qu’il suffirait d’être serveuse dans un bar en costume traditionnel pour être considérée comme musicienne, soit toucher ses cachets suffisants – affirme le chanteur avant de poursuivre – C’est un système très déloyal et c’est pour cela que les intermittents du spectacle protestent. C’est aberrant et cela est en train de tuer les artistes. On ne demande pas la lune mais quelque chose de décent tout de même« . En outre, la digitalisation et les avancées technologiques n’améliorent en rien cette situation pesante: « Avant, on avait les disques mais maintenant, les gens téléchargent sur internet, tout est gratuit. Seuls les peintres sont épargnés« , pointe-t-il. Voilà de quoi donner matière au punk alternatif français.
Le Lido et l’Olympia
Faisant référence à la destruction programmée du Lido, Gogol Premier n’a pu que témoigner le regret de voir s’abattre ce « mini-Olympia« : « J’ai fait l’Oympia et j’ai moins pris de plaisir qu’ici. Pour la simple et bonne raison qu’ici, on a directement accès au public, c’est quelque chose d’extraordinaire« . Le contact avec le public est tout aussi nécessaire pour un artiste qu’il devient de moins en moins pratiqué de nos jours nous confie Gogol Premier: « À l’époque, le punk n’avait pas beaucoup de contact avec le public car le public nous crachait dessus et nous lançait des cannettes de bière. Heureusement, cela a changé. Mais toujours est-il que j’ai toujours eu une aversion avec le toucher. J’ai intégré la danse-contact parce que je n’aimais pas toucher les gens. Et depuis, je n’ai plus peur d’avoir un contact avec des personnes. Seulement, le contact et le toucher sont des choses que l’on a perdues. De nos jours, la société moderne, avec les avancées technologiques et les ordinateurs, ne nous donne plus tellement l’occasion de se toucher comme avant« . Voilà, une évolution contre-productive regrettée par nombre d’artistes mais non seulement: « Quand on touche quelqu’un, on sens l’énergie de la personne qui passe. C’est rassurant et c’est comme une forme de courant« , explique-t-il. Seules les tribus primitives semblent avoir gardé cette forme de communication bien particulière. L’ensemble de ces allusions est pertinente dans la comparaison des carrières des diverses salles de spectacles. Mieux encore, la taille n’est qu’aléatoire: « C’est vraiment dommage que le Lido soit détruit. C’est une salle, dans sa structure, comme on en trouve nulle part ailleurs, pas même à Paris – avoue Gogol Premier avant de conclure – Il faudrait la reconstruire pierre par pierre à Paris. De plus, avec les larges goûts de Thomas (Lecuyer, le programmateur de la salle, ndlr), qui aime la déconne, il était très intéressant de parvenir à critiquer le système en rigolant, vaut mieux même« .