Le député PDC au Grand Conseil Vaudois et ancien fondateur de la start-up suisse à grand succès Oh!Box est tête de la liste du Centre (l’union du PDC et des Vert’Libéraux) pour la Municipalité et le Conseil Communal à Lausanne. Le retour du centre serait une information cruciale pour ce scrutin communal, car le PDC et les Vert’Libéraux n’ont pas récolté le moindre siège au Conseil Communal lors de la législature 2011-2016. Manuel Donzé cherche désormais à se démarquer des autres candidats par sa récente entrée en politique, son jeune âge (44 ans), ses positions de social-libéral ou encore par sa récolte de fonds sur le site wemakeit où il a récolté 3 000 francs pour financer sa campagne. Rencontre.
Y a-t-il quelque chose qui manquait à votre vie professionnelle et qui vous aurait incité à basculer vers la politique ?
C’est une très bonne question, tout me manque dans la vie. Je suis un hyperactif diagnostiqué très tôt (rires). C’est un acte citoyen et il y a deux éléments dans la vie politique : l’engagement par rapport à la société ou la ville d’où l’on vient et c’est une question d’accomplissement personnel et professionnel, qui me forme.
Quelle expérience professionnelle que vous avez accomplie vous sera la plus utile dans des fonctions de conseiller communal ou de municipal ?
Je pense toutes ! J’ai commencé ma carrière chez Arthur Andersen où je faisais de l’audit et du conseil pour comprendre ce qui ne fonctionne pas et changer cela. Ensuite, j’ai été dans la direction financière puis l’entrepreneuriat avec Oh!Box, qui était important pour amener des initiatives et des idées nouvelles. C’était d’obtenir des consensus en entreprise et de faire croire mes idées aux parties prenantes de cette aventure. Et aujourd’hui, l’enseignement qui est important pour être pédagogue en politique.
Que vous a appris votre échec avec votre liste « Lausanne Libre » pour le Conseil Communal en 2011 sur les électeurs lausannois ? et qu’a signifié pour vous votre première victoire en devenant député au Grand Conseil vaudois en 2015 ?
L’autre jour, à la télévision, j’expliquais que ce n’était pas qu’un échec mais aussi une réussite. Arriver avec une quinzaine de personnes non politisées dans un parti, créer cette liste avec des idées originales en partant de zéro, c’était une réussite. L’échec est en termes institutionnels : il n’y a pas d’élus et un score assez faible, mais pas si faible quand l’on raisonne à l’échelle d’autres partis déjà institutionnels. Il est clair qu’il est difficile de changer d’avis et je le vois toujours aujourd’hui avec mon parti. Les électeurs nous disent « je suis de gauche » ou « je suis de droite ». Quand je discute avec les électeurs, je leur dis que je suis parfois plus de gauche qu’eux et que cela dépend au cas par cas. Et chacun est ancré, familialement, en faveur d’un parti donc venir avec un nouveau parti de nulle part c’est très compliqué, d’autant plus que l’on avait pas accès aux moyens traditionnels de communication : la télévision ou la presse papier. C’était difficile de faire passer notre programme. Aujourd’hui, je suis au PDC mais il s’agit encore de leur montrer que ce n’est pas juste un parti de catholiques.
Finalement, les Lausannois que vous connaissez bien sont désintéressés des partis plus que de la politique ?
Il faut dissocier la personne qui vote et celle qui s’engage. La personne qui vote, votera toujours pour la même tendance politique jusqu’à ce qu’il y ait un ras-le-bol. Pour l’engagement politique, c’est bien différent. Si l’on prend le cas des jeunes, tous les partis veulent les séduire aujourd’hui pour avoir une nouvelle force d’idées qui touche une nouvelle frange de la population. Les jeunes électeurs veulent un produit très personnalisé, issu du marketing one-to-one. Le problème est que les partis offrent un programme et une structure établie, une histoire et les jeunes ne sont pas d’accord sur tout ce qui leur empêche de se reconnaître dans un parti. Il est plus facile d’être populiste et de râler tel que Podemos, l’UDC, le Front National en faisant appel à quelque chose d’originel tel que la Suisse d’autrefois sans apporter de réelles solutions.
Qu’a signifié pour vous votre première victoire en devenant député au Grand Conseil vaudois en 2015 ?
C’était un grand moment d’émotion qui a accéléré ma vie politique. Je suis entré en politique en 2011, au PDC en 2012 et je suis élu 3 ans après. C’est un peu ma vie vu que j’ai fait des sciences politiques et qui concrétise 20 années d’intérêt politique. Je trépigne d’impatience et je suis actif au Grand Conseil où je dépose beaucoup de papiers car j’ai plein d’années à rattraper !
Avec un parcours fort d’une carrière dans l’enseignement et de vos positions de cadre d’entreprises, vous avez tout d’un candidat idéal. Néanmoins vous ne proposez pas de mesures atypiques. N’y a-t-il pas d’opportunisme à se présenter en pure synthèse centriste ?
J’arrive avec une offre politique assez différente de celle qu’il y a aujourd’hui. Il est vrai qu’il y a quelques personnes molles au centre. Je me présente comme un social-libéral et il y a des moments où je suis très social, par exemple sur le logement puisque j’ai approuvé l’initiative de l’ASLOCA (ndlr : qui a échouée) au Grand Conseil, seul avec l’extrême-gauche. Sur la question des réfugiés, je suis également très en avant sur des positions de gauche. Ensuite, il y a d’autres domaines où je suis catalogué comme un libéral; sur les transports, sur Uber où j’ai été loin et je ne suis pas sur le consensus centriste. Je suis seul aujourd’hui à m’être prononcé sur une concurrence à Lausanne alors que d’autres, au PLR, voulaient une réglementation sociale. Sur le festival « Electrosanne », j’étais le premier à m’élever contre sa disparition. Aujourd’hui, la culture à Lausanne c’est le Béjart Ballet ou le théâtre de Vidy et je suis en faveur d’une politique culturelle aux tarifs abordables pour les jeunes. D’autant plus que lorsque j’ai repris l’idée de Genève et de Londres d’avoir des voies de bus accessibles aux deux roues motorisés et aux vélos pour Lausanne, la gauche et droite s’y sont opposées. Je suis là pour apporter des solutions et je suis à l’écoute de la population. J’ai envie de capter l’« ère du temps » et on pourrait penser que c’est de la démagogie mais je ne le pense pas, c’est aussi le rôle du politique. Je suis spécialiste des questions financières et d’éducation mais je dois tout de même écouter les gens. Je n’ai aucune peine à reprendre les solutions des autres.
Un de vos objectifs est d’avoir « une place de crèche pour chaque enfant à Lausanne ». Comment comptez-vous débloquez ce vieux problème ?
Même si la Municipalité est contente d’avoir créé plusieurs centaines de places de crèches, il en manque toujours environ 1 000. Ce sont des familles qui se trouvent angoissées par ce problème et ne savent pas comment faire. Elles doivent en fait changer de mode de vie pour s’adapter au problème et même dans les crèches privées, il manque de place. Les solutions : investir – et c’est une des mes priorités – et assouplir les réglementations. Aujourd’hui, les réglementations sur la hauteur des WC sont un sketch complètement kafkaïen. La Municipalité s’est félicité d’avoir ouvert la crèche de Philip Morris et l’on sent qu’on peut créer beaucoup plus avec le privé. Il faut aller chercher des places de crèches avec les dents auprès d’entreprises. Les autorités publiques doivent être un facilitateur plus que d’être nécessairement le promoteur et le créateur de places de crèche.
Autre sujet sensible à Lausanne : le logement. Comme vos concurrents, vous proposez un soutien un à une offre diversifiée, accessible à la classe moyenne. Que peut faire la ville pour limiter la hausse des loyers lorsque la demande augmente autant comme ces dernières années ? N’est-ce pas la loi de l’offre et la demande qui domine ?
C’est cette loi que j’enseigne en plus ! Elle est facile à théoriser mais la question du marché du logement est compliquée. On ne peut pas créer 10 000 places de logement aisément. Je ne suis pas du tout anti-subvention et je suis bien placé pour le dire car j’ai vécu dix ans dans un appartement subventionné. Mais il faut descendre le taux des logements subventionnés. Aujourd’hui il y a le problème du tiers : un tiers de logements subventionnés (la ville paye à vôtre place une partie du loyer), un tiers de logement contrôlés (vous fixez un montant) et un tiers de logement libre (où vous payez le prix du marché). Aujourd’hui, le fait de continuer à construire des logements subventionnés attire des gens qui ne vont pas payer d’impôt et être subventionnés sur les assurances-maladies. Il faut garder la classe moyenne à Lausanne qui n’a pas le droit aux logements subventionnés ni même contrôlés et les gens ne savent plus où se loger. Il ne faut pas supprimer le logement subventionné mais en diminuer son taux.
Quelle confiance placez-vous en le PS et le parti écologiste avec qui il va falloir travailler sur les questions de logement pour le mandat à venir ?
Le logement est chasse gardée du PS, ce ne sera certainement ni un PLR, PDC ou Vert Libéral. La question ne se posera malheureusement pas à ce niveau là.
(Yves Di Critino) : Lausanne connaît des problèmes en termes de mobilité et de transports publics. Il est très difficile de mettre en place de nouvelles lignes de métro, même si le M3 est en plein projet de construction et la place manque par la route. Les problèmes pourraient-ils se voir réglés lors de cette législature ?
Dans la presse, on me reproche de proposer des solutions radicales. D’autant plus, que l’on voit que certains partis se mobilisent davantage sur le sujet. En ce qui me concerne, je vais en faveur d’un rééchelonnement du calendrier des travaux et je me bats contre la fermeture du Grand-Pont. Je suis le seul à défendre ces idées tout en continuant à promouvoir la politique des transports publics avec la mise sur pieds de la troisième ligne de métro. Mais j’insiste réellement sur notre besoin d’harmonie entre les différents modes de transports. On ne peut pas avoir une Municipalité qui soit totalement anti-voitures. Ce n’est pas possible. Cela privilégie tout un ensemble de personnes qui habitent au centre-ville et qui sont à proximité des commerces, des crèches et de leurs travail. Mais il y a aussi des femmes et des hommes qui habitent par exemple à Chailly ou à Grand-Vennes et qui doivent pouvoir lier rapidement et sûrement divers points dans la Ville. Ce n’est pas possible sans voiture. Il faut que la Ville le comprenne. Un article dans le journal offrait une analyse intéressante sur le fait qu’une politique trop verte pour Lausanne acquiert également, en ce sens, une forme de sexisme car être contre les voitures signifie également aller contre les femmes qui en ont besoin. Il faut donc faire la part des choses et adopter la voiture telle qu’elle est en créant davantage de parkings – peu de personnes le proposent – et bien sûr souterains. Au Centre – PDC avec les Vert’ libéraux – nous avons imaginé créer, comme c’est le cas dans d’autres villes, des applications – smart parkings – qui indiquent au porteur où se trouvent des places de parc libres. Cela permettrait d’éviter que les personnes ne tournent une heure dans la ville pour rien. De plus, cette Municipalité est tellement contre l’automobile qu’on ne laisse pas l’opportunité aux personnes qui sortent de par l’autoroute de trouver rapidement des places de parking. Cette vision était prévue afin de réduire l’afflux de voiture au centre-ville mais cela n’a rien fait ; conséquence, les voitures affluent quand même et cela crée des bouchons interminables qui obstruent incroyablement les routes.
(YDC): Si le Grand-Pont ferme, cela occasionnerait un grand manque à gagner pour les commerçants au centre-ville…
Tout-à-fait ! Il faut vraiment écouter les concernés. Ils vivent très mal la situation actuelle. De plus, une élue PLR a calculé le temps de trajet que devraient parcourir les automobilistes qui travaillent à la Maladière au Sud de la ville : 17 kilomètres de route si le centre ferme ses portes aux moteurs. Ce n’est pas envisageable, la ville sera intenable. Notre but est d’éviter d’avoir des zones désertiques et désertées comme à Sallaz au plein milieu de Lausanne – on a déjà la Riponne pour cela. Il faut que ça bouge ! Par exemple, la place du Tunnel est au centre des discussions depuis longtemps. Garder une grande place comme celle-ci pour en faire des places de parking pour bus, c’est juste ridicule !
(YDC): Lausanne semble souffrir du peu d’espace vert qu’il lui reste, comme le Flon qui – semble-nous – sont trop urbanisés. Certes, le projet Métamorphose engagé il y a quelques années semble remédier au problème. Mais cela suffit-il ?
Que devons-nous privilégier ? Le vert ou les logements ? Si l’on prend le bateau ou que l’on arrive par le port de la CGN (ndlr, Compagnie Générale de Navigation), on se rend compte que la Ville est déjà très verte. Alors, il faut bien sûr préserver ces espaces actuels mais aussi imaginer une convivialité plus importante sur les places telles que la Riponne qui devraient être moins bétonnées – en y implantant des arbres – mais aussi avec plus de bancs. Et, à un niveau plus personnel, je trouve que la ville manque de fontaines. Ces facilités manquent au sein de Lausanne et c’est catastrophique de ce point de vue-ci.
Interview: Patrick Aimé et Yves Di Cristino