Thomas Moret (Parti Pirate) veut des espaces de coworking pour l’entrepreneuriat lausannois

© Yves Di Cristino

Déjà candidate au Conseil National en récoltant 1,2% des voix lors des dernières élections fédérales, la section vaudoise du parti pirate se lance à Lausanne et à Montreux pour ces élections communales. Le mouvement pirate est originellement issu de Suède et d’Allemagne depuis 2006 où il a provoqué des surprises électorales inattendues dans ces pays : 7,1% aux élections européennes de 2009 en Suède et 7,8% (soit 600 000 votes) à l’élection régionale allemande de Rhénanie-du-Nord-Westphalie en 2012. En Suisse, les résultats ne sont pas encore présents mais élection après élection, le parti se structure mieux avec un programme et des listes plus denses comme dans le canton de Vaud où il défend un programme social de logement abordable et de mobilité plus verte. Cependant, il se distingue et s’affirme réellement sur son analyse des conséquences politiques des nouvelles technologies et sur les notions d’internet citoyen. Rencontre avec Thomas Moret, tête de liste pour le Conseil Communal de Lausanne.

Vous vous présentez comme un candidat dont le métier est informaticien et hackeur. Qu’entendez-vous par le terme d’ « hackeur » qui a une connotation péjorative ?

Très souvent, le mot « hackeur » est très mal utilisé par la presse qui l’explique comme étant une personne criminelle. Un hackeur est quelqu’un qui va trouver une faille de sécurité, l’expliquer et la colmater quelques soient les appareils électroniques. Il peut aussi améliorer la configuration. Pour la presse, c’est plus joli d’utiliser hackeur que « personne malveillante » et elle continue de faire la confusion depuis déjà longtemps.

Que vous ont inspiré les partis pirates suédois et allemands, précurseurs en Europe ?

Eux étaient simplement les premiers créateurs. En Suisse, on avait un problème car on craignait avoir plusieurs partis pirates créés en même temps. Il a fallu beaucoup de temps pour discuter entre toutes les mouvances intéressées afin que l’on aboutisse à la création en 2009 d’un parti pirate unique pour toute la Suisse.

Au niveau du programme, de l’idéologie, c’était copié des programmes des pirates allemands et suédois ?

Nous avons repris leur idéologie de base, à savoir trouver un autre moyen de distribuer de la musique, de défendre les droits d’auteur et de la vie privée. Ce sont les grands articles de base, mais il ne faut pas oublier qu’il y a des programmes différents entre politiques fédérales, cantonales et communales donc il y a des différences entre chaque section du parti pirate suisse. L’idéologie, la transparence, et l’idée de pirates issue des pirates des mers est toujours la même. Il y a pirater la démocratie pour qu’elle soit encore plus démocratique, et que, comme dans la marine, les pirates partagent toutes les ressources de manière égale et créent une caisse commune pour les aider entre eux.

Thomas Moret à l'interview par leMultimedia.info. © Yves Di Cristino
Thomas Moret à l’interview par leMultimedia.info. © Yves Di Cristino

Quels avantages et dangers voyez-vous dans le big data ?

La peur de l’oubli ! Partout dans le monde, quand on déménage, les gens oublient notre ancienne vie et on peut en recommencer une nouvelle. Aujourd’hui, avec les systèmes d’information tels que Facebook nous n’avons plus le droit à l’oubli : tout reste noté et chacun ne peut plus cacher son passé et avoir un nouveau départ en étant tranquille.

Considérez-vous que le droit à l’oubli est respecté par les entreprises telles que Facebook ou Google dont certains usagers demandent à supprimer du contenu les concernant ?

Pas pour l’instant. Le droit à l’oubli se perd dans les réseaux sociaux. Facebook est un média social et quand une information est sortie, elle peut être répétée sur le réseau social par d’autres personnes donc à l’intérieur du réseau social il n’y a plus de droit à l’oubli. Avec les moyens de stockage énorme, toute la vie d’une personne de la naissance à la mort peut être conservée. Chacun doit faire attention à ce qu’il publie et aux conséquences qu’il y aura. On peut demander à supprimer un profil mais si quelqu’un l’a déjà copié alors le droit à l’oubli n’est toujours pas respecté et cela, les entreprises n’y peuvent rien. Il faut être responsable de ce qui est déposé sur internet et savoir que Facebook est un réseau social public.

Après l’affaire Falciani, pensez-vous que l’espionnage économique est susceptible de refonder la déontologie des informaticiens ?

Le problème de Falciani est celui des lanceurs d’alerte qui ne sont jamais protégés par leur entreprise et deviennent des parias. En entreprise, on travaille pour un patron donc automatiquement, si l’on dénonce ce qui va mal dans son entreprise, l’on devient un mouton noir qui ne peut plus rien faire de sa vie. Ainsi, je soutiens sa cause comme celle de Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks. Le problème est qu’il n’y a pas de lois qui protègent les lanceurs d’alerte. Même si vous dénoncez ce que fait votre patron, vous perdez votre emploi.

Votre parti propose d’inscrire la neutralité d’internet dans la constitution fédérale. Une initiative sera-t-elle prochainement lancée par le parti pirate ?

À Lausanne, il y a déjà eu une motion « Hildbrand-Gaillard » au Conseil Communal qui a voté pour la neutralité d’internet. Sans être élu, on peut heureusement parler avec des élus qui portent nos idées. J’ai par exemple discuté avec des socialistes et des PLR ! Au niveau national, je n’ai pas encore d’information sur une initiative mais à mesure que la pression deviendra plus grande par les GAFA, alors il faudra y penser très sérieusement.

Le mouvement pirate ne doit-il pas traverser d’autres partis ?

Oui, c’est très intéressant de constater que les Verts ont signés une charte informatique très proche de la nôtre. Il faut que l’on sensibilise les autres partis à nos idées et des élus pirates restent très importants avant que nos idées fassent réellement tâche d’huile.

En quoi consisterait un droit de la cyberguerre, inclut dans votre programme à l’échelle nationale ?

C’est une chose que les gens ignorent ou à quoi ils ne croient pas. En réalité, il est incroyable de voir comment on peut être attaqué. Il suffit d’installer un « pot de miel », un serveur où l’on fait croire qu’il y a peu de sécurité intérieure pour voir comment un hackeur y pénètre. J’en ai mis un sur une vulgaire adresse IP de CityCable et en une journée il y a eu 1 000 personnes qui ont visité ce pot de miel en essayant de prendre contrôle de la machine, de trouver des mots de passe et je les voyais sur l’écran en train de taper sur mon ordinateur.

Qu’est ce que serait une cyberarmée, que ferait-elle et au nom de quelle institution ?

Ce serait essentiellement pour protéger des données au nom de la souveraineté de la Suisse et le travail des banques et des entreprises. Si demain il y a un blackdown total, du jour au lendemain vous ne pourrez plus utiliser un bancomat, payer avec votre carte de crédit, vous n’aurez peut-être même plus d’électricité. Votre pays est négligé pendant un moment tant que l’on a pas trouvé la source de l’attaque.

Quelle place dans la politique de la ville pour un plan d’économie de partage issu du modèle d’Uber et d’Airbnb ?

En fait, les marchés économiques sont perturbés par la géolocalisation et les téléphones mobiles qui étaient inimaginables quinze ans en arrière. Cependant la technologie apporte un vrai plus tout en cassant une partie du marché notamment pour le transport. Il s’agit maintenant de trouver un juste milieu et que le manque de taxis soit comblé à Lausanne.

Justement, comment le Conseil Communal et la Municipalité peuvent-elles aider à cela ?

C’est difficile lorsqu’il s’agit d’entreprises américaines car c’est une perte sèche d’économie. Les chauffeurs d’Uber sont payés depuis les États-Unis et ils ne payent pas d’impôt; il faut trouver un moyen de les imposer et de les faire cotiser comme chez les chauffeurs de taxi.

L’imposition du travail et la cotisation sociale n’est cependant pas une compétence de la commune !

Ce n’est peut-être pas une compétence communale mais le problème fait partie de l’univers urbain. Il faut donc en parler au Conseil Communal et remonter plus haut le problème car pour l’instant les chauffeurs de taxi bloquent la ville et les gens ne peuvent plus travailler normalement.

En quoi consisteraient les espaces de coworking, fablabs et hackerspaces pour la ville de Lausanne ?

Cela permet à des petites entreprises ou des micro-employeurs de faire leurs premiers pas dans l’entrepreneuriat. Il y aurait ainsi des synergies entre des professions différentes. Dans un espace de coworking, on peut rencontrer des informaticiens, des comptables, des secrétaires qui s’aident mutuellement en ayant des entreprises différentes et qui mutualisent leurs savoirs. Les fablabs sont davantage des ateliers de rencontre avec des professionnels qui nous conseillent dans notre projet d’entreprise. Le hackerspace est un concept que j’ai aidé à créer : c’est un lieu où il y a des personnes de différentes compétences électroniques tels que les informaticiens, les électroniciens, les codeurs qui s’aident mutuellement également pour un projet.

Quelle légitimité auriez-vous sur des sujets déconnectés de toute dimension liée aux nouvelles technologies ?

Nous avons une solution de « vivants » : nous sortons dans notre ville et sommes des citoyens comme les autres.