Inspirés par la formation politique de gauche espagnole Podemos, les membres de « Casona Latina », le centre culturel des Amériques à Lausanne ont très récemment constitué une liste en vue des élections communales lausannoises. Très engagés dans la volonté de promouvoir les cultures diverses, au-delà même du simple multiculturalisme, Sandrine Cornut, Présidente et Juan Correa, les deux cofondateurs de cet espace culturel dédié à l’Amérique Latine se battent pour colmater le « cultural gap » qui persiste encore au sein de la capitale vaudoise selon eux. leMultimedia.info a rencontré Sandrine Cornut dans les locaux de « Casona Latina », une occasion de se familiariser avec l’univers et les convictions du groupe SoMos qui concoure modestement pour la Municipalité de la ville de Lausanne. Interview.
Tout d’abord, quel est le ressort de votre formation politique SoMoS ? Constituez-vous un parti politique conventionnel ou tout simplement un mouvement ?
C’est une bonne question. Aujourd’hui, on se définit majoritairement comme un mouvement car on veut s’écarter pour le moment du côté institutionnel et hiérarchique robuste qui structure les partis politiques. Nous débutons seulement dans l’univers de la politique mais nous préservons notre volonté de rester plus citoyens et répondre à des demandes précises des gens. Nous avons ainsi une structure plus souple qui caractérise mieux les mouvements. Mais rien ne nous empêchera par la suite de nous approprier si nécessaire le terme de parti politique.
Vous êtes, pour le moment, basés à Lausanne avec un programme à la fois très précis mais très pragmatique qui défend l’égalité des cultures et dénonce le matérialisme accru qui régente la société actuelle. Alors à défaut d’être très structuré, votre programme a la qualité de miser sur le concret…
Tout-à-fait ! On est relativement ouvert de par notre volonté d’être proches des citoyens; nous devons pouvoir répondre de manière très précises au demandes des personnes sur le terrain. C’est pour cela que l’on ne revendique pas d’étiquette politique sur la base de l’échelle gauche-droite, même si la plupart de nos idées correspondent plus à une politique du social et donc de gauche. Mais nous savons également reconnaître certaines idées de droite – au sens traditionnel du terme – qui sont à remarquer. C’est important de tenir compte de tous les aspects de la société afin d’éviter à tout prix le dogmatisme qui peut parfois caractériser certains partis et qui inhibe, de par la rigidité de certaines réflexions, les valeurs pour lesquels ils se battent.
‘Nous devons arrêter de confondre le social et le culturel et faire la part des choses’
De manière générale, vous souhaitez promouvoir la culture et l’étendre au sein de la ville. La faiblesse de la fréquence des manifestations culturelles constitue-t-elle une pierre d’achoppement pour la capitale olympique ?
Pour nous, la culture se situe à différents niveaux. Il y a déjà un problème dans l’organisation du système politique. Il y a une distinction qui est faite entre le ‘social’ et la ‘culture’ et cette ‘culture’ est perçue telle que maintenant comme réservée à une élite comme c’est le cas avec le classique et les musiques modernes et contemporaines. Il y a cette vision paternaliste qui partage le sentiment que les cultures étrangères doivent rester au sein des petites communautés. La culture étrangère reste communautaire alors qu’elle devrait pouvoir s’exprimer sur un public beaucoup plus large car elle fait désormais partie d’un tout. On vit dans une société mondialisée et on devrait pouvoir profiter des avantages qu’elle offre. Or, la mondialisation ne se limite actuellement qu’à la diffusion du pop rock dans les écouteurs des jeunes que ce soit en Suisse, au Japon, au Chili ou ailleurs. Et pourtant, il y a plein de musiques qui sont reconnues internationalement comme la salsa, le tango, ou encore le flamenco qui ont un grand écho au Japon par exemple. Ces musiques d’origines étrangères sont rabaissées ici alors qu’elles ont tout autant de valeur que le hip-hop et le rock, lesquels sont subventionnés. Voilà un changement important qu’il faudrait opérer dans notre organisme sociétal, faire le lien entre le social et la culture, faire plus de socio-culturel au sens large du terme et arrêter de confondre les deux dimensions. Il faut établir une justice au sens large et remettre les choses dans leur ordre.

Vous faites une critique de la société dans votre publicité mais elle est loin d’être définitive, n’est-ce pas ?
Effectivement, c’est très difficile à définir notre société car elle se complexifie toujours plus. Nous croyons personnellement, au sein de SoMoS que la plupart des politiciens et des pouvoirs publics rendent à chaque fois plus complexe la réalité. Nous le percevons au sein de l’administration où tout est toujours plus compliqué et tout le monde le reconnaît, même dans le domaine juridique et la plupart du temps c’est redondant. On a l’impression que la langue de bois qui caractérisait autrefois les politiciens s’étend à tous les niveaux. Tout est fait comme si le but ultime était d’embrouiller les pensées de la communauté; de les placer au milieu d’un nuage permanent au lieu d’aller à l’essentiel. C’est pourquoi, notre programme est simple pour donner une ligne directrice de base et comme le disait parfaitement Juan Correa, la politique, en substance, c’est très simple. Il suffit de dire les choses clairement sans chichi et c’est ce que nous faisons – et avons fait – pour cette campagne. On joue parfois également le rôle de conseillers pour certaines personnes qui viennent nous rencontrer car ils sont perdus dans ce marasme administratif et organisationnel. Ainsi, la critique est certes simple de cette société qui tend toujours plus à creuser le fossé entre ceux qui s’arrogent le pouvoir et les autres. On ne se dirige pas vers le beau de cette manière-ci et il faut lutter contre cette tendance malsaine.
‘La politique, en substance, c’est très simple’, Juan Correa, SoMoS
Cette complexité se traduit également par une croissante difficulté à cohabiter entre les différentes cultures. À cela, vous avez répondu par une très forte hétérogénéité au sein de votre groupe et de votre liste avec la présence d’artistes de tout genre, de toute carrière et de tout horizon !
Absolument ! Nous voulions être représentatifs et mélanger des personnes de différentes origines car nous sommes – « SoMoS » – une fraternité d’êtres humains. Nous devons lutter contre le racisme primaire et de nos jours, il y a une facilité extrême à dénommer un bouc-émissaire – l’étranger – comme si les migrants étaient à l’origine de tous les maux de notre société. Au contraire, les vrais responsables sont les politiciens de chez nous qui prennent les décisions en lien avec les pouvoirs économiques. C’était donc important pour nous de mettre cet aspect-ci bien en avant avec, dans notre liste, beaucoup d’étrangers revendiqués mais bien intégrés en Suisse. Ils sont tout aussi honorables que les autres citoyens car ils participent au bon fonctionnement de notre société. L’équilibre est très important.
‘La femme a encore trop tendance à se sacrifier’
Vous allouez beaucoup d’importance à l’équilibre de genre – un tiers des candidats SoMoS sont des femmes (3/9) ?
Bien sûr ! Je suis féministe, mais au sens noble du terme. C’est important de promouvoir une égalité parfaite entre les hommes et les femmes. Mais malheureusement, c’est souvent par manque de temps que les femmes s’engagent moins en politique et ne se positionnent pas assez. Il y a encore un héritage de ce breadwinner model où la femme endossait la plus grande part du rôle de la maternité, même s’il faut reconnaître que dans la nouvelle génération, les hommes se féminisent plus en ce sens-là et assument plus de responsabilités. Mais nous ne sommes qu’au début de cette évolution. Dans notre mouvement, il a également été plus compliqué de constituer une liste tout court car nous avons été très réactifs en un mois. Nous avions contacté beaucoup de femmes qui ont finalement lâché l’ancre par manque de disponibilité. On voit qu’il y a encore ce sentiment de sacrifice chez la femme qui aura plus tendance à laisser la place aux autres. C’est pourquoi, l’égalité de genre au sein de notre liste a été difficile à atteindre du point de vue du nombre de candidats.
Vous êtes proches de Podemos…
Oui, nous sommes proches de ce parti de par la gestation et l’impulsion du mouvement. On était en réaction à un fonctionnement social et politique qui nous posait problème. Il faut préciser que nous ne sommes absolument pas une branche expatriée de Podemos (rires). Le combat est tout simplement le même.
Quelles sont vos ambitions à Lausanne ?
C’est une grande question. Je suis consciente que j’ai moins de chances d’élection que beaucoup d’autres candidats mais je suis convaincue qu’il faille aller de l’avant et ne jamais partir défaitiste, sinon ça ne servait à rien de se présenter. Quelque part, il faut y croire et si l’on n’a pas de rêves, si l’on n’a pas cette petite lumière dans notre for intérieur qui nous pousse à nous engager, on n’avance pas. Le miracle est possible: faire un bon score qui augure de plus grandes perspectives pour le futur !