Après l’échec « surprise » du Front National aux élections régionales françaises des 6 et 13 décembre 2015, gauche et droite se réjouissent d’avoir été un « rempart » face à la « haine de l’autre » et l’« incompétence » du parti populiste. Au soir du premier tour, le parti sous la direction de Marine Le Pen était en tête dans 6 régions sur 13 et laissait tout le reste de la classe politique française, déprimée, bornée à critiquer les idées frontistes en nationalisant l’élection pour seule défense. Une semaine plus tard, la stratégie consistant à s’appuyer sur les médias avec leur connivence pour raviver la fierté des Français contre les postures du Front National a payée. Mais que peut réellement faire, pendant le temps qui lui reste, cette classe politique dépassée ?
Respectivement vainqueur dans sept et cinq régions en métropole, Les Républicains et le Parti Socialiste (leaders des unions de la droite et de la gauche) ont simplement bénéficié d’un contexte anti-FN et des retraits des listes sans infléchir leurs positions. En fin de compte, les régionales ne changent rien à la vie politique française tant leurs enjeux (formation professionnelle avec les entreprises, investissements dans les infrastructures des transports ou des lycées) ont été oubliés au profit d’une querelle tripolaire (gauches, centriste et droite, et « patriotes »). Contrairement à ce qu’il prétend, le FN n’est de loin pas la première force de la représentation politique française et ne convainc pas plus qu’avant, puisque ses 6,8 millions d’électeurs de dimanche dernier succèdent aux 6,4 millions qui ont voté Marine Le Pen aux Présidentielles de 2012. De plus, le FN est le seul parti à amener aux urnes ses sympathisants, donc les écarts de participation aux présidentielles (80% en moyenne) contre ceux de ces régionales (50% au 1er tour et 60% au 2nd) ne risquent pas de révéler des millions de votants supplémentaires à l’élection de 2017.
‘La dédiabolisation du FN n’aura été qu’une justification pour se rendre plus fréquentable auprès des médias’
Pour les partis de gouvernement, c’est un demi-échec. Même s’ils sont inefficaces aux fonctions exécutives et législatives, Les Républicains, les socialistes ou les écologistes éclatent avant de se reconstituer, et arrivent à gagner des élections. Le deuxième tour du 13 décembre sonne cependant comme une demi-victoire tant ces partis ont déçu au premier tour, notamment pour Les Républicains qui ne sont plus au pouvoir et ont bénéficié dans deux régions du retrait de la liste du Parti Socialiste pour ne gagner que la moitié des régions. Preuve en est en interne : Nathalie Kosciusko-Morizet est exclue de la Vice-Présidence des Républicains après avoir critiqué officieusement la stratégie du « ni-ni » de Nicolas Sarkozy, tandis que Bruno Lemaire a parlé de la fin d’une classe politique dépassée. La victoire en demi-teinte révèle aussi l’inefficacité de l’ex-Président à revenir en force avec une ligne dure pour chercher les électeurs du FN dès le premier tour d’un scrutin. Généralement, le mécanisme des partis de gouvernement est simple : ils puisent une force politique dans leurs crises, mais n’ont pas besoin de réinventer de programme pour gagner puisque que jeter l’opprobre sur l’adversaire leur suffit. Et cette stratégie finit par s’essouffler. Côté Front National, la dédiabolisation n’aura été qu’une justification pour se rendre plus fréquentable auprès des médias. Cependant, son ambiguïté – sur les propos xénophobes que peuvent tenir Jean-Marie Le Pen ou des élus locaux – est partagée par les autres partis : il s’agit de la même stratégie de balancier vers la gauche ou la droite à l’approche d’élections. La même stratégie, qui ne paye qu’au meilleur équilibriste, avant tout charismatique et autoritaire.
‘Derrière les attaques de personnes se cache l’autre problème qu’ont les hommes politiques : l’absence de programme politique’
Depuis la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012 au summum de sa détestation, on constate que les leaders des partis s’acharnent toujours à l’interne ou contre les partis concurrents. La faute des autres est une obsession, et les aveux politiques de fautes collectives de la gauche et la droite sonnent de façon hypocrite dans leur bouche. Jean-Marie Le Pen, abusant d’une position victimaire depuis la création du Front National, laisse toujours son ombre planer sur le FN actuel. Alors que le parti « patriote » le rejette, il ne cesse de se positionner en parti « attrape tout » pour séduire le plus d’électeurs déçus de la gauche et de la droite, provoquant ainsi le front commun contre lui des partis de gauche et du centre. Marine Le Pen dit souhaiter cesser d’entendre que le FN est d’extrême-droite mais continue à vociférer de façon populiste pour limiter l’immigration et contrer le système UMPS ou les unions du Parti Populaire Européen avec le Parti Socialiste Européen. Sur tous les angles, elle porte la faute sur les politiques ayant été au pouvoir, mais attend en fait le même dénigrement de la classe politique qui pousse les électeurs vers elle. Derrière ces attaques de personnes se cache l’autre problème qu’ont les hommes politiques : l’absence de programme politique.

Que ce soit un programme économique, de restrictions ou de nouvelles libertés et d’efficacité de l’État, il n’y a pas de nouvelles idées politiques ni chez les partis ni chez les hommes politiques se prétendant « indépendants ». Libéralisme ou étatisme économique ; Europe libérale ou keynésienne, à forme confédérale ou fédérale ; imposition injuste et inefficacité de l’administration reviennent périodiquement, sans suspense et sans réformes fortes quand les politiques accèdent au pouvoir. L’ensemble des partis rabâchent les mêmes programmes quand ils se présentent aux journalistes, voire se les empruntent. Il n’y a pas de créativité, et si la dernière invention politique, l’écologie, figure dans tous les programmes, c’est essentiellement par des propositions fiscales et incitatives assez similaires ; seuls les Verts prônent un mode de vie purement écologique mais mal expliqué puisqu’il n’intéresse personne, médias compris. Ces derniers sont également responsables de la pauvreté des débats politiques, car ils les animent souvent sans questions provocantes dans les journaux télévisés du soir et s’échangent sur les radios et les plateaux télévisés les mêmes invités politiques et experts qui se répètent et ne s’interpellent pas. L’audience est souvent lasse d’entendre les mêmes remarques lorsque le problème du chômage resurgit dans l’actualité. Par exemple, peu nombreux ont été les médias qui ont laissé la parole aux Economistes Atterrés, les seuls universitaires à critiquer l’Europe sur le maintien de la dette grecque. C’est justement cette inégalité de traitement qui est dramatique en période d’élections et qui donne plus de légitimité aux pourfendeurs des médias. Autre exemple sur ces dernières élections: l’absence de bilans des régions, qui, à l’exception du Monde et des médias régionaux – ces derniers n’étant même pas invités sur les plateaux de télévision nationale – n’ont été que peu évoqués.
‘Les Français s’intéressent comme ils le peuvent aux affrontements médiatiques qui les amusent tristement’
Pendant que les indicateurs économiques et de confiance en les élus ne s’améliorent pas, les mêmes sujets de politique nationale reviennent, et les réponses ne changent pas. Sans un suspense qui les pousse à vivre intensément les élections, les Français s’intéressent comme ils le peuvent aux affrontements médiatiques qui les amusent tristement.