Frank Souyris : « Nous voulons conserver le caractère festif de notre club, mais nous restons un club sportif »

La photo de famille de l' "Alba". "Crédit photo: Albaladejo Rugby Club"

Solidaire et passionné, le 3e club lausannois qui évolue en ligue C derrière ses camarades de ligue A connaît bien l’histoire du rugby lausannois et français. Il promeut celle de son parrain Pierre Albaladejo (ex-international français légendaire) et continue la sienne grâce la fidélité de ses sponsors qui constituent des supports financiers indispensables. D’ailleurs, l’Albaladejo n’a pas été étranger au développement du rugby vaudois puisqu’il a participé à la création de l’École de Rugby de la Région Lausannoise. Frank Souyris, le président de « l’Alba » a accepté de nous parler de la vie du club et du rugby suisse.

Comment est l’Albaladejo Lausanne, fondé en 1969 par Laurent Membrez et alors unique club du canton, à une époque où le rugby était un « objet sportif non identifié » (puisque c’était une époque de rugby amateur y compris en France) ? 

C’est évidemment une histoire de passionnés. À l’occasion d’un voyage à Pau, Laurent Membrez a rencontré Pierre Alabaladejo dans un restaurant. C’est à cette occasion qu’il lui a demandé s’il serait d’accord de devenir le parrain de notre club et de lui donner son nom, ce que ce dernier a accepté. Je doute que ce genre de choses puisse se reproduire de nos jours, les temps ont bien changé. Nous sommes fiers de porter le nom de ce grand personnage du rugby qui continue à s’intéresser à notre club et à nous envoyer ses vœux.

Note de la rédaction: Pierre Albaladejo est un ancien international français des années 1950 et 1960, considéré comme l’un des meilleurs demis de mêlée à cette époque et également récompensé par l’Oscar du Midi Olympique en 1964. Sa carrière terminée, il devient l’un des premiers commentateurs du sport moderne sur Europe 1 puis Canal+ et Antenne 2 (ex-France 2). De 2006 à 2011, il était président de la commission d’éthique et de la déontologie de la Fédération Française de Rugby. De plus, il a écrit Les mouches ont changé d’âne (1999) et Les clameurs du rugby (2007), réputés pour la qualité du style littéraire et la passion du rugby dans le sud-ouest de la France qu’ils décrivent.

Le rugby nécessite un investissement dans des infrastructures (terrain avec poteaux, vestiaires) et du matériel pour l’entraînement (ballons, coussins de plaquages, casque, dentier, crampons en fer). Bénéficiez-vous d’aides financières ou en nature de la part du canton ou de la commune de Chavannes pour faire vivre le club ? 

La ville de Lausanne (nldr, les terrains de Chavannes-près-Renens sont sur la commune de Lausanne), outre la location d’installations sportives d’un excellent niveau, octroie des aides financières aux clubs en fonction de leur structure, de leurs efforts dans la formation des jeunes, mais aussi de la ligue dans laquelle ils évoluent. En ce qui concerne le rugby, les aides ne sont attribuées qu’à partir de la ligue B alors que nous sommes en ligue C. Nos principales ressources sont les licences payées par nos joueurs mais surtout nos fidèles sponsors auxquels nous devons beaucoup.

Portrait de Pierre Albaladejo
Portrait de Pierre Albaladejo

Sur le plan sportif, l’Albaladejo est le 3e club lausannois et a pris la tête de la Ligue Nationale C avec 33 points, dont 6 d’avance sur « GC Zürich 2 » qui est second. Avec une éventuelle promotion en LNB l’année prochaine, le club a-t-il pour objectif prioritaire de rattraper ses camarades lausannois en LNA ou de rester avant tout un club de copains festifs en utilisant seulement le rugby comme un moyen ?

Bien sûr nous voulons conserver le caractère festif de notre club, mais nous restons un club sportif et le développement de notre club passe aussi par des succès sportifs. Rattraper nos camarades lausannois n’est pas un objectif à proprement parler. Nous portons l’accent sur la formation et l’accueil. La dimension humaine et le développement individuel et collectif sont essentiels. Pour nous, le rugby est une aventure humaine avant tout. Comme le disait Jean-Pierre Rives, « le rugby n’est qu’un prétexte pour réunir les hommes ».

 « Le rugby n’est qu’un prétexte pour réunir les hommes » Jean-Pierre Rives, ex-international français

Le rugby suisse est actuellement amateur, mais réussit à organiser quatre divisions nationales avec des équipes implantées partout dans le pays et il y a même une équipe nationale. Selon vous, quelle place peut prendre le rugby en Suisse à long terme ? 

Difficile à dire. Très sincèrement, je pense que le rugby en Suisse restera un sport relativement confidentiel.

Y a-t-il chez certains clubs ou chez la Fédération Suisse de Rugby des envies de rendre le rugby suisse professionnel un jour ? 

Pour qu’un sport soit professionnel, il faut qu’il génère des revenus pour pouvoir financer son fonctionnement, attirer des investisseurs passionnés et des joueurs talentueux, former de jeunes joueurs et leur offrir une compétition du meilleur niveau. Ce n’est pas prêt d’arriver en Suisse.

Les joueurs de Lausanne Albaladejo lors d'un match. Crédit photo: Albaladejo Rugby Club
Les joueurs de l’Albaladejo Rugby Club lors d’un match. Crédit photo: Albaladejo Rugby Club

La Coupe du Monde s’est terminée le 31 octobre par la nette victoire de la Nouvelle-Zélande, et l’on retiendra aussi la belle performance des pays de l’hémisphère Sud. Pensez-vous qu’elle s’est révélée très inquiétante pour les Français et Anglais facilement battus, alors qu’ils atteignent généralement les demi-finales ou la finale ? 

Ce sont peut-être mes origines qui parlent, mais leur Coupe du Monde a forcément été inquiétante et surtout pour la France. Ce qui m’a particulièrement choqué, c’est la pauvreté du jeu d’attaque français, un peu comme si ce qui a fait l’âme du rugby français dans l’histoire avait disparu. J’étais à Cardiff pour le match contre la Nouvelle Zélande (ndlr, le quart de finale lors duquel les Français ont été corrigés sur le score de 62 à 13) et la différence de niveau était impressionnante. J’ai moins d’inquiétudes pour l’Angleterre, ils ont montré une jeune génération de joueurs pleins de talents.

Y a-t-il une baisse de niveau chez certaines nations de l’hémisphère Nord (France, Angleterre) ou à l’inverse une hausse chez celles du Sud (Nouvelle-Zélande, Australie, Argentine) ? 

La baisse de niveau de la France me parait évidente. Pour le reste, l’hémisphère Sud reste devant les autres nations. Le niveau de la Nouvelle-Zélande est juste époustouflant. On a lu dans la presse que cette équipe est la meilleure de tous les temps et je pourrais bien être d’accord. Ce qui est révélateur, c’est la progression de l’Argentine. Confrontés depuis plusieurs années aux nations du Sud, ils se retrouvent en quart de finale de la coupe du monde et ce n’est certainement pas un hasard. Finalement, le match d’une équipe du Nord qui m’a le plus enthousiasmé est celui de l’Écosse contre l’Australie. Quel suspens, quelle envie !