Aymeric Lompret, un spectacle contre l’abandon

L'humoriste français Aymeric Lompret pose après son spectacle "C'est trop pour moi" présenté au Lido Comedy & Club de Lausanne. Photo: Yves Di Cristino

Aymeric Lompret ne fait rien comme tout le monde et n’aborde aucun de ses projets comme les autres humoristes. Le Lillois a d’ailleurs deux rituels sur scène, ne jamais abandonner ses rêves et les ancrer jour après jour sur sa peau. Un hymne à la persévérance réaliste et un stand-up revisité pour son deuxième spectacle « C’est trop pour moi » qui laissent son public émerveillé par la force et le pouvoir comique du jeune homme de 27 ans. Se muant en une pléiade de personnages tout au long de son spectacle, Aymeric retrouve sa vraie personnalité en sketch de rappel et ne manque pas de se faire tatouer le prolongement de sa ligne de vie sur le bras, symbole de l’opiniâtreté de sa personne et de son talent. Interview.

Aymeric, un spectacle hallucinant ! Depuis combien de temps joues-tu ce spectacle tel qu’il est ?

Il s’agit de mon deuxième spectacle. Le premier (ndlr, « Présent », 2012) je l’ai tourné pendant trois ans et ce soir, c’était la quinzième représentation de mon nouveau one man show. Il y a eu un an d’écriture et ça fait quinze semaines qu’on le promeut de manière intensive.

Tu sors un peu des sentiers battus en matière de stand-up. Tu réalises une entrée et une sortie de scène en simulant des discussions avec ton manager comme si le public n’était pas là. Un véritable prélude et un épilogue inattendus à un show qui défie les normes des stands-up traditionnels dissimulant une construction qui a trait au théâtre…

Oui, j’ai essayé de traiter le sujet de l’abandon – le thème récurrent de mon spectacle – à ma manière. Réaliser une entrée « sans public » me permet d’introduire une volonté feinte de ne pas jouer mon spectacle et une tentation forte d’annuler ma représentation. La suite de mon spectacle tentera de démontrer une force de conviction qui me permettra de surmonter ces angoisses et ces tentations jusqu’au tatouage de ma ligne de vie (ndlr, sur le bras droit). Ces périodes censées être sans public sont également une occasion pour se moquer du public et bien les introduire à mon univers.

Pouvons-nous dire que tu réalises ici ta propre première partie ?

Je ne sais pas si on peut inférer cela. Mais sur le sujet, c’est vrai que j’aimerais bien avoir une première partie avec un humoriste nul qui puisse marquer la différence avec l’artiste principal (rires). Donc mon entrée ne peut pas vraiment être considérée comme étant une première partie mais plus comme un prologue, une introduction à mon spectacle.

D’où vient le titre de ton spectacle, « C’est trop pour moi » ? Une référence qui conjure les mauvaises tentations ?

C’est avant tout une référence au monde du stand-up; il y a une phrase très courante qui est souvent prononcée en fin de représentation qui est « C’est tout pour moi« . Au début, d’ailleurs, je voulais appeler mon one man show comme tel mais on a voulu marquer encore plus le thème de l’abandon dans le titre. Une référence à ce « trop » qui caractérise parfaitement le sentiment de dépression duquel on tente par tous les moyens de sortir. On essaie de ne plus y réfléchir, comme la condition animale ou féminine qui constituent des sujets un peu « too much » pour moi.

Tu joues une variété de personnages dans ton spectacle. Comment sont pensés chacun d’eux sur scène ?

Les personnages sont souvent pensés après la phase d’écriture du sketch. À la base, je voulais traiter de cinq sujets qui me tiennent particulièrement à cœur qui sont: l’assistanat, la paranoïa, la prostitution, la dépression et la désertion au front. Il n’y a pas vraiment de lien qui relie tous les personnages entre eux si ce n’est ce sentiment commun et rituel d’abandon. Par exemple, la figure du paranoïaque a abandonné toute notion de la réalité et va jusqu’à remettre en cause des événements qui se sont réellement passés et se laisse prendre par n’importe quelle théorie du complot dans le monde; le déserteur dans l’armée abandonnera sa patrie, l’assisté la perception d’une vie active, et ainsi de suite.

C’est l’absurdité qui marque chacun de ces personnages qui leur rend ce côté si comique ?

Oui, tout-à-fait ! Si je parlais de la guerre comme on en parle de nos jours dans les médias, cela n’aurait aucun effet comique sur le public. Et c’est cette absurdité qui caractérise chacun des personnages qui provoque le rire des gens. Si je prends l’exemple du soldat au front, placé sur la première tranchée et qui ironise sur sa propre condition, c’est justement le contexte de « l’abattoir » certain auquel le personnage est voué et son absurde volonté d’abandon qui traduit une situation dramatique en une séquence comique. À chaque représentation, je rajoute une touche d’absurdité mais celle-ci ne relève que d’un processus itératif, au fur et à mesure que le spectacle est joué. Au bout de la 100e représentation, je suis sûr que les personnages seront vraiment très cons (rires).

Absurdité des personnages mais absurdité également du comique qui nous les présente. Parlons par exemple de ton (vrai) tatouage que tu alimentes au terme de chacune de tes dates. Comment t’es née l’idée de débuter cette fameuse ligne de vie qui parcourt ton bras ?

Je prolonge à chaque fin de spectacle une ligne que j’avais abandonnée il y a deux ans. Une ligne de vie que j’avais momentanément stoppée mais que j’ai reprise pour donner l’exemple concret de la persévérance à un projet. Puisque je traite de l’abandon dans mon spectacle, je veux me convaincre moi-même que je n’abandonnerai pas ce projet que j’ai eu il y a quelques années maintenant. Il s’agit davantage d’un plaisir personnel plutôt qu’une scène préparée pour le public. Pour le coup, j’ai demandé à ma boîte de production d’acheter le matériel de tatoueur et c’est David, mon régisseur, qui vient me prolonger mon tatouage sur scène.

Un mot sur la Suisse… Tu es pour deux jours au Lido Comedy & Club de Lausanne et tu étais à Montreux en début de semaine. Comment se passe ta petite tournée helvétique ?

Avec la tournée de mon premier spectacle, je suis souvent venu en Suisse. J’aime beaucoup ce pays, les gens sont très friands d’humour noir et ils ne sont pas cons. Un jour, si j’aurai plus d’argent, je viendrai habiter ici, je pense.

Un dernier mot sur ta carrière. Après quelques spectacles à ton actif et un passage réussi à « On n’demande qu’à en rire » sur France 2, tu as amassé une certaine notoriété non négligeable…

C’est vrai que mon passage à « On n’demande qu’à en rire » il y a trois ans, m’a permis de grandir dans l’humour, l’émission a été une véritable école pour moi même si désormais les effets de notoriété sont retombés depuis mes passages. Mais je crois au travail, je crois à mon spectacle et je pense que ce n’est que par ce biais-ci que je peux encore progresser. Je cherche moins à plaire aux professionnels de l’humour qu’au public. Si je pouvais remplir tous les soirs une salle de 200 personnes et les faire rire, cela me conviendrait et me convient amplement.