Culinaires, cinématographiques ou visuels, les arts ont de nouvelles formes et sont moins hiérarchisés entre eux tant ils sont accessibles et critiquables par tous. Autrefois dominés par la littérature, l’architecture, le théâtre et la peinture dans les pays du Vieux Monde, l’art s’est démultiplié en art conceptuel (le surréalisme), cinématographique, de performance (sport, happening) et également graphique (le fanart, le dessin animé). Aujourd’hui, de nombreuses séries se positionnent comme art de raconter et émouvoir, dans un genre d’interprétation d’une très longue durée sur des thématiques historiques ou actuelles. Raconter n’a jamais été aussi vivant et réaliste.
Les arts sont certainement en mutation à l’ère du numérique, et l’univers des séries s’approprie cette caractéristique artistique de bien raconter et toucher par des saisons à densités élevées. Généralement basé sur le talent supposé inné d’un artiste, l’art est de plus en plus professionnalisé dans le dessin ou le jeu d’acteur. L’adage « le travail paye » est soutenu pour entrainer l’esprit créatif par une gymnastique d’esprit et du corps, et donner vie à une œuvre. Nous lisons moins qu’autrefois selon certains professeurs d’école, et sommes moins capables d’apprécier le style d’un roman faute de cliquer sur internet pour lire des résumés d’œuvres. C’est la crainte d’un esprit imaginatif faible, et d’opter pour une ingurgitation d’informations standardisées. L’art n’apporterait plus un véritable apprentissage et la catastrophe culturelle serait en marche ! Néanmoins, le numérique a diversifié les arts visuels et nous permet de les voir tous les jours. Désormais, séries, films, fanarts (dessins faits par des fans et publiés en ligne) sont facilement vus, voire sont conçus, car le numérique répond à une demande de visionner et de raconter à la portée de quelques clics. Le numérique laisse émerger le visionnage en streaming en grande quantité, et surtout en quasi-toute liberté car le streaming illégal n’est pas véritablement arrêtable. Les séries sont donc en pleine expansion dans un contexte qui leur est très favorable. Parallèlement au streaming, elles ont aussi évoluées par un jeu d’acteur moins surjoué que dans les anciennes séries tel que Starsky et Hutsch, et les épisodes des nouvelles séries sont indépendant les uns des autres. Cela laisse place à la transformation des personnages dans une histoire complexe, dont l’art de raconter réside dans la « bonne » longueur et la crédibilité de la série sur plusieurs saisons. Les succès du Bureau des Légendes, Deadwood, House of Cards, Breaking Bad, sont mérités pour de nombreux critiques, voire des historiens. En revanche, le succès des Feux de l’amour depuis plus de 40 ans n’est pas impressionnant mais juste divertissant par sa thématique atemporelle: l’amour passionnel.
« Les spectateurs américains contemporains ont eu besoin du western pour leur apporter un passé mythique » John Belton, historien américain spécialisé en histoire du cinéma
Les séries, un art d’interprétation et d’historicisation
Plus que divertissantes, les séries modernes retranscrivent des histoires réalistes, parfois inspirées de sujets historiques. Dès lors, les séries deviennent des supports de l’enseignement de l’histoire. Les historiens plébiscitent ces séries, car elles sont vues par des millions de spectateurs et illustrent leurs livres plus austères. L’historien François Jost le dit à propos de Deadwood, série sur la conquête de l’Ouest au XIXe siècle, où les héros ne sont pas nombreux contrairement aux clichés habituels. Il cite lui-même l’historien américain John Belton qui nous dit « Les spectateurs américains contemporains ont eu besoin du western pour leur apporter un passé mythique« , preuve que la vérité historique n’est que peu présente dans les westerns d’anthologie. D’autres séries veulent refléter l’époque actuelle, telles que Breaking Bad, où le système social américain est mis en cause par l’abandon des malades les plus pauvres, et les désespère, jusqu’à les pousser à s’enrichir par tous les moyens (trafic de drogue, blanchissement d’argent dans la série). Ces nouvelles séries informent, donnent des jugements et émeuvent: ce sont des références dans l’univers audiovisuel. Les spectateurs sortent enrichis d’une histoire bien conçue et quasi réelle. Autre illustration qui parle pour elle-même: les manifestations à Baltimore s’insurgeant contre le décès du jeune homme noir Freddie Gray tué en avril dernier par un policier blanc qui ont prolongé le mouvement de contestation de l’abus de pouvoir des policiers aux États-Unis. Cet évènement tragique a redonné souffle à la série The Wire (2002 – 2006), dont le co-réalisateur David Simon qui fut journaliste au Baltimore Sun a co-créé une série fidèle aux problèmes sociaux des quartiers précaires (et majoritairement noirs) de Baltimore. Quant aux personnages de la série Deadwood, la plupart d’entre eux ont réellement existé. On peut en revanche regretter l’absence de grandes séries non américaines, à quelques exceptions près (notamment Le Bureau des Légendes en France ou Sherlock au Royaume-Uni). Si les séries racontent des histoires qui nous fascinent, c’est bien sûr pour gagner de l’argent, mais ce n’est maintenant plus leur unique but : elles veulent informer et mettre en garde le monde.
Le plébiscite des téléspectateurs
La force des séries est nette dans notre quotidien. Regarder une série devient une pratique culturelle habituelle, de plus en plus ancrée dans la découverte d’histoires. Les histoires ne sont plus racontées uniquement par la littérature ou les films, mais aussi par les séries qui les décortiquent le plus longuement. C’est ce qu’aiment les plus jeunes qui s’emparent du support vidéo pour se divertir : séries en tout genre ou vidéos humoristiques de youtubeurs, ainsi que les adultes, adeptes d’histoire ou de politique. Bien que certains considèrent les séries comme un produit de télévision nous vidant la tête, elles offrent également du contenu riche, instructif. De plus, elles créent beaucoup de valeur ajoutée pour les chaînes télévision qui les produisent et s’arrachent leurs droits. Le principal risque est l’addiction, la concentration de tous ses loisirs autour des séries uniquement. Néanmoins, les amateurs de séries se retrouvent entre amis pour voir un épisode, et en discuter. Il s’agit d’un comportement classique et de plus en plus important avec le streaming légal sur son ordinateur, son Apple TV ou sa console de jeu qui ont des applications de Video On Demand tel que HBONow ou AmazonPrime aux États-Unis. En Suisse, le VOD balbutie quelque peu, et se développe sous le bouleversement du marché par l’arrivée de Netflix en septembre 2014. Désormais, Swisscom, UPC Cablecom, Netplus, Hollystar et Netflix se disputent les parts de marché mais avec des offres bien différentes. En effet, Netflix domine le marché par son contenu varié (films anciens ou récents, séries, documentaires, dessins animés) et en augmentation chaque mois. Ses nombreuses productions sont aussi populaires et le marché est plié à sa domination car ses concurrents n’ont pas sa grande expérience internationale. Par exemple, Netplus ne se restreint qu’à proposer uniquement des films, et UPC Cablecom n’a qu’un contenu très faible. Seuls Swisscom et Hollystar semblent être en capacité de réagir avec des grands titres dans leur catalogue. De plus, même si Netflix domine, toutes les séries célèbres n’y sont pas, tel que House of Cards, dont ils sont eux-mêmes les producteurs ! Les spectateurs peuvent donc être déçus du manque de contenu, et se rabattre sur le streaming illégal, car le phénomène des séries ne semble pas près de s’arrêter. En attendant, seul Netflix avance et se démarque avec Narcos, sa dernière série historique sur la vie du mafieux Pablo Escobar qui séduit déjà.