Maintenant que la coupe du monde offre son spectacle le plus abouti dans ses phases finales (les quarts de finale étaient ce week-end), que comprenons-nous au rugby, ce sport à quinze contre quinze où l’on marque avec un ballon ovale en passant vers l’arrière ? Ses règles trop méconnues et le spectacle sans bavure ont multiplié les clichés qui le desservent. Si c’est un sport de brutes pour les amateurs, c’est un sport d’agressivité positive pour les joueurs, deux jugements bien différents issus de deux approches du rugby diamétralement opposées !
« Parlez-vous rugby ? » – Ce tag youtuber, qui raconte les avant-matchs dans les vestiaires d’équipes de 3e et 4e division française avait fait une démonstration de la « culture rugby » sur les réseaux sociaux en 2011, grâce à son discours humoristique. Or, il y a encore quelques années, les qualificatifs péjoratifs de ceux qui connaissaient vaguement les règles du rugby étaient fréquents, tels que « sport barbare », « violent » ou également ceux de « joueurs courageux mais fous ». Si l’appréciation du rugby est désormais nette, c’est notamment grâce aux coupes du monde qui ont propagé la culture du rugby dans la culture populaire. La culture du ballon ovale reconnue pour ses valeurs de combat collectif, non violent, mais proposant de « l’agressivité positive » contre l’adversaire a pris son temps pour briller. Son principe est de canaliser sa force contre l’adversaire sans le blesser, ce qui est respecté grâce aux règles de sécurité. En effet, les zones de plaquages interdits concernent toute la partie supérieure au torse de l’adversaire (cou, tête) et sont sanctionnées après le match par des commissions de discipline. Cela est notamment dû à la professionnalisation du monde de l’ovalie en 1995, qui a transformé le rugby en « un sport de voyou pratiqué par des gentlemen » comme le veut l’expression triviale. Les danses maories présentées par les équipes de l’hémisphère sud avant les matchs sont aussi très attendues et participent à l’embellissement du spectacle. Plus récemment, c’est l’adoption du rugby à sept dans l’olympisme en 2009 qui est un symbole du succès du sport. Désormais en plein âge d’or, et plus particulièrement tous les quatre ans lors des coupes du monde, médias, commentateurs et peuples honorent la beauté du rugby comme spectacle de qualité.
Une expansion progressive
Les coupes du monde et d’Europe (des clubs ou des nations) sont les principales raisons du succès international du rugby, étant donné qu’elles sont retransmises sur la plupart des chaînes de sport et publiques en Europe. Il y a quatre ans, la première chaine télévisuelle de France a fait sa meilleure audience de l’année 2011 tous programmes confondus avec 15,6 millions de téléspectateurs lors de la finale Nouvelle-Zélande – France. Ce sont des chiffres qui sont aussi élevés que ceux des coupes du monde de football, et qui éveillent les intérêts publicitaires des marques de sport. De plus, la structure et le niveau international du rugby se sont décuplés partout où il est joué, comme en témoigne la victoire du Japon, pays traditionnellement mineur, contre l’Afrique du Sud, qui fait partie des pays majeurs et vainqueurs de la compétition en 1995 et 2007. D’origine anglaise, le rugby s’est largement développé dans ses anciennes colonies et en France. Le Top 14, première division française, attire les meilleurs joueurs anglais, argentins, sud-africains et néo-zélandais qui bénéficient de la professionnalisation du sport comme tremplin qualitatif et financier.
Il demeure cependant un paradoxe dans l’histoire du rugby : alors qu’il a un temps été pleinement issu de la mondialisation, il peine aujourd’hui à s’exporter à l’exception de rares pays comme l’Argentine. Il n’y a qu’un championnat amateur en Suisse, organisé par des immigrés qui ont développé eux-mêmes le rugby suisse. Or, c’est actuellement l’un des objectifs principaux de la World Rugby que d’exporter le sport, qui ne compte que sur la médiatisation toujours plus importante et l’augmentation des téléspectateurs au moment des coupes du monde. Le président de la WR, Brett Gosper, a prévu une audience atteignant quatre milliards de téléspectateurs cumulés sur tout la compétition, et cible sur 150 millions pour la finale. Cependant, les coupes du monde se suivent et le sport reste inconnu dans la plupart des pays non acculturés. D’ailleurs, en dépit des bénéfices avoisinant les 200 millions d’euros par coupe du monde, l’organisation mère ne sait pas toujours comment optimiser ses investissements dans les pays étrangers à la culture du rugby et préfère redistribuer aux clubs anglo-saxons et français pour les dynamiser davantage. On en retient qu’une spécificité culturelle comme un sport localement ancré ne séduit pas tous les pays facilement. Le football australien et le cricket en sont l’illustration, tant ils restent peu connu, y compris dans des pays anglophones. Toutefois, en attendant un éventuel succès mondial du rugby, les néophytes, tout comme les amateurs, peuvent apprécier par eux-mêmes la magnifique coupe du monde en cours, et le fair-play exemplaire des supporters de l’hémisphère Sud venus en pèlerinage avec leurs équipes nationales.