Opinions: Daniel Brélaz (les Verts) veut booster la transition énergétique

Photo: VERISSIMO

Parole aux principaux candidats des Élections Fédérales du 18 octobre 2015. À une semaine de l’échéance des législatives, leMultimedia.info livre une série d’interviews avec les pressentis acteurs de cet été électoral. Au programme aujourd’hui: Daniel Brélaz (les Verts).

Aujourd’hui l’écologie est au programme de la plupart des partis politiques en Suisse. L’effort est-il pour autant poursuivi? Est-ce que l’écologie est peu considérée au parlement du pays?

On ne peut pas dire que l’effort soit réellement poursuivi. Effectivement, tous les partis politiques n’ont pas l’écologie au programme. Le plus évident parmi ceux-ci est l’UDC qui, à part considérer que les paysans sont les meilleurs défenseurs de l’environnement, ont un programme ouvertement anti-écologique: aucune norme, pas plus d’efforts pour l’environnement… Il y a ensuite des partis qui ont vaguement un programme écologique comme le PLR ou des partis avec des ailes comme le PDC. Les Verts libéraux, cela dépend des sujets, mènent paradoxalement une écologie modérée. Évidemment, pour la promotion des éoliennes ces derniers sont là aussi, mais pour la sortie du nucléaire ils ont tendance à être prudents. Ils s’attaquent en l’occurrence à la centrale nucléaire de Beznau mais pas aux autres, lesquels présentent pourtant autant de problèmes. Globalement on voit que sur un certain nombre de dossiers importants le Conseil des États est allé moins loin que le national. Il a même supprimé la clause selon laquelle il fallait, tous les dix ans, une analyse très approfondie pour toutes les vieilles centrales, comme si on allait les garder éternellement. Ceci est évidemment peu responsable et pas très écologique… Mais même pour les partis réputés assez ouverts à l’environnement comme les verts libéraux ou les socialistes, on commence à avoir d’autres types de raisonnements. Donc il y a beaucoup de paroles et peu d’actes, sauf chez les verts où les paroles correspondent toujours aux actes.

Lausanne a réduit entre 2005 et 2015 environ 30% de ses émissions de gaz à effet de serre. Est-ce que vous pensez que l’on pourrait faire de même ou mieux au niveau national?

Cela tient à trois facteurs. Pour Lausanne ça tient aux effets du M2 qui provoque une baisse du trafic en ville et donc une grosse baisse des émissions de gaz à effet de serre. Cela tient aussi à la politique énergétique de la Ville mais aussi, quoique en petite partie, à la technique. C’est par exemple le fait que les voitures actuelles consomment moins. Alors oui, on peut faire plus au niveau national, mais ça va dépendre d’une multitude de mesures. Ce sont des mesures que nous avons à Lausanne et qui ont un effet sur la construction des bâtiments alimentés par des énergies renouvelables. Il peut y avoir aussi tout un défi sur les transports qui peuvent être entièrement substitués par des transports électriques ou à hydrogène, donc fonctionnant sur des énergies renouvelables et non pas grâce aux centrales de charbon allemandes. Aussi, les énergies fossiles, comme le charbon ou le pétrole, représentent 80% des émissions de gaz à effet de serre au niveau planétaire. Si nous parvenions donc à réduire par trois quarts la consommation des énergies fossiles, ce qui est réaliste, nous arriverions à réduire les émissions de gaz à effet de serre par 60%, ceci dans un délai d’environ 30 à 35 ans si l’effort est poursuivi. Si tous les transports devenaient électriques et si toute la production d’électricité faisait de même, il ne suffirait alors que d’un million cinq-cent mille grandes éoliennes pour suffire à toute la planète, réparties sur une surface égale à cinq fois la Suisse mais qui au niveau du globe ne représente vraiment pas grand chose. La seule question est que si tout ceci vient trop lentement, il faudra s’attendre à une hausse de la température de 4 degrés et tous les problèmes qui y sont liés.

Justement, les verts optent pour une transition énergétique et pour une économie verte. Peut-on pour autant concilier écologie et croissance économique?

Alors ça dépend de quelle croissance économique on parle. Si c’est pour la croissance des profits alors sûrement pas. Mais si c’est globalement alors oui. Ces nouvelles politiques dans le domaine de l’efficience énergétique nécessitent et génèrent des emplois nouveaux et locaux. Bien entendu, la vraie question est de savoir si on prend ce virage trop tard. C’est en ces termes là qu’il faut penser le débat.

Le discours libéral sur les avantages d’une économie sans contraintes et compétitive vous n’y croyez pas. En tant que vert quelle est votre vision idéale de l’économie?

D’abords le discours libéral n’est qu’un discours car dans la pratique c’est bien différent: on a mis des moyens considérables au service du nucléaire pour le maintenir et le développer, y compris dans la recherche. Les libéraux de l’UDC, quand il s’agit de financer l’agriculture, ne sont pas vraiment libéraux… On a sur tous les points de vue un libéralisme assez malhonnête, c’est-à-dire qu’on est libéral quand ça nous arrange et on ne l’est pas quand ça ne nous arrange pas. Il faut dire que des vrais libéraux j’en connais très peu dans la pratique. Parce que des gens qui ne tendent la main que dans certaines circonstances ou qui pensent que pour que leur main soit pleine il faut que les autres n’aient rien ce n’est pas du tout la même chose. Maintenant moi, sorti de ce cas de figure là, dans l’esprit je suis assez libéral, les verts aussi. Mais ce seraient plutôt de conceptions libérales à l’américaine de type humaniste, dans une logique qui permet effectivement aux petites et moyennes entreprises d’exister et de créer des emplois dans le domaine de l’énergétique. Mais il faut voir qu’aujourd’hui, avec le système de valorisations boursières à l’américaine et la concentration économique que cela crée, quelque part le système capitaliste moderne est dans la pratique le pire ennemi du libéralisme individuel.  Mais pour le reste, le libéralisme meilleur et plus compétitif, qu’on a défini au XIXe siècle, est quasi annihilé par ce qui se passe en pratique dans les prêts des grandes banques et dans les manipulations d’argent à très haut niveau. Aujourd’hui nous sommes plutôt dans un régime ploutocratique.

Pour revenir sur la question de l’environnement, vous soutenez la nécessité de changer nos habitudes de consommations. Pour certains cela implique de renoncer à un certain confort quotidien. Que leur répondez-vous?

Pour moi tout ce qu’on pourra obtenir techniquement sera beaucoup plus facile à faire entrer en pratique que ce qu’on va obtenir par des mesures de ce genre. Maintenant tout ce que je vous dis concernant les tendances en matières énergétiques, solaires, éolien, mais aussi sur l’efficience énergétique, à savoir technique, tout ceci est ce qu’on va faire en priorité. Néanmoins, si ça ne suffit pas, il faudra aller plus loin. Aussi, j’ai la conviction que dans le domaine du recyclage il est sûr qu’on a, pour plusieurs matériaux, un certain nombre de menaces sur la quantité qui existe au niveau planétaire. Est-ce qu’on aura assez de ces matériaux pour continuer à faire tourner nos entreprises et la vie de monsieur et madame tout le monde? Là le recyclage est indispensable. Faire une société qui s’oriente vers une économie circulaire, à savoir une consommation minimale de produits pour réaliser un objet, est indispensable pour ne pas avoir un mur à un moment donné. Aussi, je ne connais pas la date à laquelle se dressera ce mur ni sur quoi il va déboucher, mais il est à peu près certain qu’on aura des problèmes d’approvisionnement pour certains matériaux dans la durée. Peut-être qu’on arrivera à faire la mutation énergétique avant d’avoir épuisé le charbon et surtout le pétrole. C’est souhaitable pour l’humanité. Mais il y a d’autres domaines où on n’aura pas assez. Le recyclage sera donc nécessaire dans le domaine de la nourriture, quand on voit la faim dans le monde. Il faut adopter une certaine logique pour ne pas consommer de manière totalement déraisonnable. C’est donc comme ça qu’il faut comprendre la question et non pas selon un calvinisme forcené, même si il existe parmi les verts quelques esprits réellement calvinistes. Mais en général, c’est pour le bien commun et le bien planétaire que les verts appellent à moins consommer. Et moins consommer ne veut pas dire rien consommer mais mieux consommer. Cela veut aussi dire favoriser les évolutions technologiques le plus rapidement possible pour que finalement un environnement comme la Suisse soit vivable pour davantage d’habitants. Car nous avons effectivement une tendance qui fait que nous aurons d’ici 2050 quelques dix millions d’habitants. Alors dans cette optique là, mieux consommer et faire cette mutation énergétique fera en sorte que, avec davantage d’habitants, dans un temps raisonnable d’environ quarante ans on arrivera à une situation où on ne consommera pas plus que les ressources de la planète. C’est ce que veulent promouvoir les verts.

Vous venez d’évoquer la question démographique. Ne faudrait-il pas aussi, et Ecopop est radical sur ce sujet, envisager éventuellement des politiques de stabilisation de la population comme le fait l’Allemagne actuellement?

Il faut souligner que l’Allemagne est potentiellement en régression démographique. Dans les spécialités elle pense qu’il va lui manquer plusieurs millions de travailleurs qualifiés. C’est d’ailleurs pour cela que Mme. Merkel, voyant dans les syriens un certain nombre d’individus qualifiés, est en pleine coordination avec l’industrie allemande dans le but d’accepter un certain nombre de ceux qui sont très qualifiés. Ici en Suisse on a un problème d’une autre nature. On a effectivement, mais cela varie en fonction des cantons, un phénomène de croissance démographique. Mais si on regarde à l’échelon du temps, la croissance démographique est surtout marquée aux cantons-frontières. Cependant, malgré les dynamiques locales, la vraie question est celle de savoir ce que la Terre peut effectivement supporter. Alors les verts partagent le sentiment de la charte sur l’environnement conjointement avec Ecopop. Mais ils partagent aussi le fait que le problème est planétaire et que, même s’il y a un peu plus en Suisse parce qu’il y a un peu moins ailleurs, la situation resterait tout de même gérable. Et gérer correctement une population ça veut dire, notamment, réaliser la mutation énergétique.

Les Verts c’est aussi une ascension politique continue tant au niveau national que cantonal, mais peut-être un parti en perte de vitesse si on considère l’année 2011. Sans considérer la concurrence électorale des verts libéraux, peut-on penser que la conscience écologique soit entrain de se diluer en Suisse?

Je ne crois pas. Les choix électoraux sont influencés par un certain nombre de paradoxes. Ils sont incontestablement déboussolés, actuellement, par tout ce qui se passe avec la crise migratoire. Je vois des gens anti-étrangers, profondément choqués par ce qui se passe en Hongrie. Mais, à l’inverse, il y a aussi des gens assez modérés qui se demandent quoi faire là au milieu… Donc c’est clair qu’il y avait des élections à stabiliser et les Verts se sont stabilisés au niveau national autours des 6,5% – 7%. Nous avons aussi un électorat flottant qui représente, mine de rien, 20% à  30% et qui, en fonction des circonstances, va aller d’un côté ou de l’autre. Cet électorat, selon les contextes, peut effectivement faire les fluctuations électorales. Dans le fond, j’ai plutôt l’impression que les Verts ont progressé, mais les attentes sont plutôt, grâce à un électorat flottant, à voir autours des 7,5% – 8% au niveau national. Maintenant, les Verts ont perdu 0,6% au niveau national et 2,6% dans le canton de Vaud. On peut donc prévoir une situation où, le 18 octobre, les Verts risquent une légère baisse nationale. Je pense qu’il y a effectivement un problème de relève. Il n’y a pas suffisamment de jeunes qui ont réussi à bien se faire connaître malgré un bon travail de fond pourtant… Les problèmes ne sont évidemment pas résolus.

Une dernière question pour parler plus spécifiquement de vous. Après 36 ans de vie politique, qu’est-ce qui vous donne la force de vous présenter pour un énième mandat au conseil national?

Physiquement, je me sens à nouveau bien depuis que j’ai perdu un certain nombre de kilos. Je me sens donc en pleine forme. Je quitte la municipalité avec une vaste expérience dans de nombreux dossiers. Quand on a un certain potentiel on a envie de le mettre à disposition de la population et des causes auxquelles on croit. C’est aussi absolument clair pour moi que dans le domaine de l’énergie et des technologies en général j’ai des connaissances très largement supérieures à la moyenne des parlementaires suisses. Si on considère les grandes mutations de société à venir, notamment celles sur l’énergie ou les transports, je suis à peu près expert dans ces domaines et pense pouvoir y apporter une valeur ajoutée. Bien évidemment, je connais et maîtrise tous les autres dossiers du haut de mon expérience politique.