Dans une conférence intitulée « Racisme d’État: La Suisse et sa politique migratoire sur fond de crises« , le candidat au Conseil national, Jean-Michel Dolivo (POP SolidaritéS), a livré une version fort intéressante de la « culture » xénophobe que revêt la Suisse depuis des décennies, voire des siècles. Dans le moderne bâtiment du Géopolis situé dans le quartier Mouline de l’Université de Lausanne, la thématique a captivé l’assistance. En voici un aperçu.
Dans le monde, des guerres permanentes sont menées sous des formes différentes par les classes dominantes. De nos jours, nous assistons à un déplacement forcé de personnes que nous n’avons jamais rencontré auparavant et tout cela « est instauré par le mode de production capitaliste« , annonçait Jean-Michel Dolivo, avocat et membre du collectif SolidaritéS lors d’une conférence donnée à l’Université de Lausanne. Si les occupations djihadistes et les régimes autoritaires en Afrique poussent sa population a risquer la mort dans l’exil européen, la recherche de culpabilité ne peut – selon Monsieur Dolivo – que retomber sur les épaules d’un capitalisme qui « [produirait] des réfugiés à une échelle totalement nouvelle« . Mais en Suisse, le problème de la migration n’est pas, de prime abord, qu’un simple dérivé du modèle capitaliste dominant. Le champ d’étude semble être beaucoup plus large.
Une xénophobie bien ancrée
En Suisse, la politique migratoire est – depuis belle lurette – marquée par la volonté de lutter contre la surpopulation étrangère. Les Suisses fondent leur identité nationale sur le maintien de leurs origines et se sentent menacés par ladite immigration massive rejetée par le peuple le 9 février 2014. La notion d’überfremdung – à nouveau apportée par le candidat au Conseil national de la liste radicale du POP – résume de manière pragmatique le bloc réactionnaire qui s’est formé face au risque de l’écroulement de l’identité nationale causé par l’immigration abusive des étrangers. Face aux mythes historiques que l’Helvétie ressasse depuis un millénaire, c’est bel et bien un racisme pur d’État qui se noue autour de la Confédération. Ce dit racisme d’État est, selon l’avocat, alimenté depuis la Seconde Guerre mondiale, lors de laquelle les autorités suisses auraient, eux-mêmes, demandé aux nazis de marquer les juifs pour mieux les refouler. Un caractère xénophobe qui n’a cessé d’évoluer par la montée des puissances populistes au sein de la nation rouge à croix blanche. Dans les années 1970, c’est avec un radicalisme convaincu que James Schwarzenbach avait lancé une initiative visant à restreindre de manière très contraignante la venue de personnes étrangères sur le territoire suisse; celle-ci ayant été rejetée – fort heureusement –par le peuple le 7 juin 1970. Bien que « l’emprise étrangère », dont voulait absolument se défaire l’homme politique d’extrême droite de l’époque, n’ait jamais réellement menacé l’identité d’une Suisse fortement ancrée dans un néolibéralisme prospère, c’est par ce long héritage xénophobe que ce prétendu risque de surpeuplement de la Suisse est arrivé au sommet des préoccupations avec comme mot d’ordre de cette politique que la main d’œuvre étrangère ne doit pas être une concurrence dangereuse pour l’emploi suisse. Une propagande de laquelle l’UDC en fera sa carte de visite – notamment sous l’ère Blocher (années 2000) — en multipliant les initiatives contre les étrangers dans une lignée légèrement plus douce que celle tenue par son prédécesseur Schwarzenbach.
Selon Jean-Michel Dolivo, « cela gêne l’UDC que les migrants aient des droits » d’où l’idée de revenir à un système de contingentement avec l’initiative de février 2014 qui réaffirme la stricte préférence nationale. L’apparition dans la Constitution de l’article 121a remet en cause – quoi que de manière moins périlleuse – les accords bilatéraux signés avec l’union européenne. L’inconnu persiste, aujourd’hui, sur le déclenchement hypothétique de la clause guillotine qui serait à même d’isoler la Suisse de son grand voisin qui l’entoure; un scénario catastrophe, notamment pour la recherche et la bonne santé de notre économie. Toutefois, face au choc de février 2014, la position du Conseil Fédéral et d’EconomieSuisse n’a pas changé d’un iota. Selon ces deux acteurs importants du panorama politique helvétique, il a toujours été question d’un utilitarisme migratoire qui ne consiste pas à donner des droits gratuitement aux migrants mais qui permet d’offrir un emploi pour les mains d’œuvre étrangères qui travaillent dans les conditions les plus dures. C’est dans ce rapport-ci que l’on entrevoit, en Suisse, toutes les questions liées à immigration, porteuse de richesses considérable à ce petit pays neutre. Cependant, il y a une contre partie à cet utilitarisme migratoire. Selon Dolivo, il y a un réel risque de dumping salarial et social; un « effet stigmatisant des étrangers vis-à-vis de la population suisse […] qui agit comme un laboratoire d’essai pour les politiciens« .
Les migrants et le « laboratoire d’essai »
Le terme de « laboratoire d’essai » évoqué dans la conférence par Jean-Michel Dolivo est porteur de sens. Tous les principes fondamentaux de l’égalité pour tous sont balayés par cette détention administrative. La venue d’une main d’œuvre sous-qualifiée et sous-payée en Suisse constitue un véritable terrain d’essai pour des politiques jugées répressives. Le « laboratoire d’essai » – en termes politiques – renvoie à une large frange de migrants stigmatisés et considérés comme des paresseux et des abuseurs potentiels du système social: « ils sont pris comme cobayes pour ensuite réprimer les abuseurs de manière générale en Suisse. Le traitement réservés aux migrants peut, finalement, dans quelques années, être appliqué sur d’autres couches de la population suisse« , affirme la tête de liste POP SolidaritéS pour les élections fédérales du 18 octobre prochain. C’est pourquoi, selon lui, il est nécessaire d’agir concrètement sur la condition sociale de la migration en Suisse, d’autant plus – précise-t-il – que « nous ne sommes pas du tout dans une prétendue invasion de demandes d’asiles. La Suisse n’est, en théorie, pas confrontée aux problèmes de migration africaine. […] Mais les accords de Schengen-Dublin peuvent rendre la Suisse impliquée dans ce processus de refuge même si nous sommes très loin d’une pression insoutenable de requérants d’asile contrairement à ce qui nous est présenté [dans les médias ou les canaux traditionnels d’information]« .
En théorie, Jean-Michel Dolivo tient à présenter ses trois conclusions qu’il tire du racisme d’État en Suisse. Premièrement, il insiste beaucoup sur le fait que la politique d’asile et migratoire sont un extraordinaire laboratoire d’essai qui mettent en cause tous les citoyens, quelque soit le passeport. Il est important de comprendre les enjeux de cette discrimination car l »être humain n’est plus et cette stigmatisation est de plus en plus justifiée. Deuxièmement, l’islamophobie est fortement développée en Suisse, notamment avec les initiatives des ces dernières années contre les minarets et l’interdiction du voile. Ce sont toutes des campagnes qui ont été menées pour stigmatiser davantage les étrangers en Suisse. L’islamophobie est le simple résultat de cette volonté conservatrice d’éradiquer le risque de la perte d’identité; « une forme de racisme bien présente comme si les Suisses [regrettaient] les dictateurs« , avance-t-il. Dernièrement, il évoque un certain nombre de pistes pour développer de nouvelles pratiques face aux migrants: « [c]hacun-e doit s’engager pour refuser et contester les discours et les comportements xénophobes autour de soi. Le laisser circuler, c’est le banaliser et le généraliser. Il est, de plus, important de souligner que dans les prises de positions, les discours, on (doit) refuse(r) insidieusement les discriminations et favoriser des actions collectives pour défendre les droits de migrants« . Car défendre les migrants, c’est défendre les droits sociaux ou démocratiques de chacun et chacune. En effet, il est important de montrer que les luttes que l’on peut mener pour les migrants renvoient directement aux luttes pour nos propres droits.