Parole aux principaux candidats des Élections Fédérales du 18 octobre 2015. À un mois de l’échéance des législatives, leMultimedia.info livre une série d’interviews avec les pressentis acteurs de cet été électoral. Au programme aujourd’hui: Claude Béglé (Parti Démocrate Chrétien).
Monsieur Béglé, vous défendez de pied ferme les bilatérales mais face à l’impasse du 9 février, qu’en est-il de l’épineuse question de la libre circulation des personnes ?
La Suisse compte 30% d’étrangers parmi la population active, soit 1,5 million de personnes. Nous sommes un pays qui est l’un des plus ouverts au monde et l’immigration a été une grande source de richesse. Mais il y a une différence entre l’immigration et l’immigration massive. Il faut éviter de dépasser certaines bornes et c’est ce que craignaient les initiants de l’initiative. D’une certaine façon, nous comprenons. L’attractivité de la Suisse est considérable, on se rend compte que même en Allemagne, pays prospère, n’a un salaire minimum qui s’élève qu’à 8,50 euros. Par rapport à eux, les Suisses vivent dans un eldorado. Dans ce cas, il est nécessaire de lutter contre le dumping salarial, c’est évident. Il faut éviter que nos infrastructures ne soient saturées. Ceci dit, j’aimerais faire une distinction entre trois types de travailleurs; ceux qui se trouvent tout en haut de l’échelle et ne représentent pas de grande menace, ce sont des personnes qui font tourner notre économie en prônant l’innovation. Entre 1999 et 2010, la part des étrangers ayant des études universitaires est passé de 15 à 30%. Deuxièmement, nous retrouvons tout en bas, les personnes qui occupent des postes peu convoités. Et puis, troisièmement, le vrai problème se situe au sein de la classe moyenne, où l’on commence de plus en plus à avoir des étrangers qualifiés – parfois même plus que les Suisses – qui entraînent un certain sentiment de repli. Je pense que face à cette situation délicate, la première solution est de promouvoir autant que possible les emplois des Suisses et des Suissesses; il faut permettre aux femmes un meilleur accès au marché du travail ou une aide à la réinsertion après la maternité. Il faut faire un effort général sur la formation pour que les Suisses puissent occuper un maximum de positions. En seconde solution, je pense qu’il est envisageable d’activer la clause de sauvegarde; c’est à dire mettre des conditions, des limites, aux étrangers que nous souhaiterions voir venir chez nous pour renforcer notre économie. Ce genre d’approche pourrait intéresser des pays de l’Union Européenne elle-même. Je vais faire une différence entre la libre circulation des personnes pour les personnes en provenance de l’UE et l’asile qui relève du droit humanitaire. Nous avons, dans le second cas, une obligation morale de participer, au même titre que les autres personnes du continent, à l’accueil des réfugiés mais nous devons nous garder d’être submergés par tous les requérants. Et puis, finalement, il faut créer un article constitutionnel qui établisse comme un socle le fait que les négociations bilatérales sont essentielles pour un pays qui vit de ses échanges avec l’Union Européenne mais sans remettre en soi la principe de la libre-circulation des personnes.
Dans votre programme, vous parlez de familles plurielles mais ne trouvez-vous pas que la famille soit devenu, au final, un thème un peu creux au fil des années ?
À mon sens oui, bien sûr. Mais vous verrez que très rapidement, on touche à la complexité. Bien sûr, personne ne peut être contre la famille. C’est la cellule de base de notre société. Tout le monde sera favorable à ce que nos enfants puissent grandir dans un cadre aussi harmonieux que possible. Mais vont se poser des questions économiques: comment est-ce que fiscalement, nous allons favoriser les familles sans abreuver le budget de l’État. Il y ales jeunes mais il y a aussi les personnes plus âgées. Jusqu’à quel point les personnes qui ont atteint l’âge de la retraite sont encore capables de travailler ? Est-ce qu’ils doivent s’arrêter ou alors pourrions-nous imaginer d’autres solutions plus flexibles ? Et puis, se pose encore la question de la définition de la famille; probablement un lieu de convivialité, de confiance partagée mais pas nécessairement – et seulement – dans le cadre d’une famille traditionnelle (papa, maman, enfants) mais de plus en plus aussi les familles mono-parentales, les familles recomposées, voire même les familles arc-en-ciel. Et quand on veut aller jusqu’au bout de la complexité, on se poserait encore la question de l’adoption pour des couples homosexuels qui entraînera toute une série non seulement d’émotions fortes mais aussi de questions juridiques et économiques. Donc ce thème est un thème beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.
Et plus spécifiquement, pour le bien des enfants, qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
D’abord, il faut songer aux congés maternité. Aujourd’hui, il s’agit d’une pratique qui est entrée dans les mœurs mais ça a mis du temps. Je crois que c’est le moment de penser également à un congé paternité. Un des conseillers nationaux PDC a proposé quinze jours de congé paternité. On pourrait aussi combiner le congé maternité et paternité pour qu’à l’intérieur du couple, l’on puisse alterner. Ensuite, il y a toute la question de la santé; imaginons des assurances maladies dont le coût soit pris en charge par la société. Il y a aussi l’épineuse question des crèches; il en faut pour que les femmes puissent combiner travail et maternité. Il faut qu’elles puissent en même temps, déposer les enfants à la crèche, aller travailler et les récupérer le soir. Il ne faut pas non plus que le coût de la crèche représente plus de 50% du revenu que l’on touche. Au contraire, il faudrait que ce soit un coût très faible. On a donc énormément de choses qui vont tourner autour des enfants sans parler – évidemment – de la sécurité, la sécurité sur internet, la pédophilie… Il faut pouvoir, à la fois, les accompagner, leur donner leur liberté tout en les protégeant.
Et à l’autre bout de l’existence, que faire pour les personnes âgées ?
Beaucoup. Les personnes âgées sont de personnes très importantes dans notre société, d’autant que l’âge durant lequel on est encore en bonne santé se prolonge de plus en plus. La première chose primordiale, à mon avis, est de permettre aux personnes qui le souhaitent de prendre leur retraite à un âge qui n’est pas fixe mais qui sera en fonction de ce qu’ils peuvent ou souhaitent encore apporter à la société. Je peux imaginer comme au Japon, que les gens décrochent à 58 ou 60 ans, le 80% d’employabilité (quatre jours par semaine) mais sont payés à 90% de salaire tout en assurant la pension à 100%. Cela permettrait aux gens qui sont un peu moins fatiguées de continuer dans leur activité. Il y aurait ainsi moins d’absentéisme. Par contre, du moment que l’on arrive à l’âge de 65 ans, ils peuvent décider de continuer à travailler à 50%. Et j’imagine une sorte de dégradé qui peut aller jusqu’à 70, voire 75 ans. Ces gens-là vont se sentir utiles, ce qui est le but principal, mais vont également faire bénéficier la société de leur expérience, la force de leur savoir. Ils auraient plutôt des rôles de conseil ou de support et cela permettra, sur une base volontaire, pour la société de mieux équilibrer les comptes de l’AVS parce qu’ils toucheront la rente moins longtemps, tout en contribuant davantage, et pour eux-mêmes, on pourrait imaginer que la rente AVS mensuelle sera plus élevée puisque tout se jouera sur une période plus courte. Tout cela forme un cercle vertueux. Et puis, quand on arrive à un âge plus avancé – parce qu’inévitablement chacun d’entre nous y arrivera, mais beaucoup plus tard qu’il y a un siècle – je pense qu’il faut avoir des formules adaptées: des EMS, mais permettre autant que possible de garder les séniors à la maison. Si nous pouvions trouver des formules reconnaissant le travail des tiers-aidant (amis ou famille) qui s’occupent chez eux de leur proche, je pense que ce serait bénéfique pour tout le monde.
Depuis l’abandon du taux plancher par la BNS, il règne beaucoup d’incertitude au sein de l’économie en Suisse. Il faut trouver des solutions; pensez-vous que la réforme sur l’imposition des entreprises en serait une ?
Oui, indéniablement. La RIE III est une proposition qui va dans le bon sens. En fait, nous sommes obligés d’aller dans cette direction puisque la communauté internationale fait pression pour supprimer les forfaits fiscaux des multinationales qui se sont installées chez nous. Et il faut être en règle avec la communauté internationale. Ceci dit, si l’on devait perdre certaines de ces entreprises, cela aurait un impact sur l’emploi, sur les effets d’entraînement sur l’économie. Mais nous allons le faire. L’intérêt est qu’en même temps, ceci va signifier une baisse à 13,8% (par rapport à 25,5%) de taux d’imposition de nos entreprises. Donc ce sont les entreprises étrangères qui vont casquer et ce sont les entreprises suisses qui vont être un peu allégées, ce qui, dans le contexte du franc fort, est une mesure bienvenue. Cela étant, il faut toujours respecter les équilibres droite-gauche. Cette loi d’imposition va dans le sens de nos entreprises mais, dans le canton de Vaud, un ensemble de mesures a été prévu, dont beaucoup de mesures sociales (par exemple, des crèches pour les enfants)… Donc cela ne portera pas que sur la réduction du taux d’impôt mais sur toute une série de mesures. Quoi qu’il en soit, c’est quelque chose d’utile pour nos PME qui sont au cœur de notre économie. Il faut faire notre tout notre possible pour stimuler nos petites et moyennes entreprises; et je pense que cela passe par l’innovation. La force de notre pays, c’est cette continuité entre recherche, invention, innovation, création de petites entreprises qui deviendront ensuite des moyennes, puis des grandes qui exportent. La composante innovation et la composante technologie sont au cœur de ce que nous pouvons offrir toujours sous ce label d’excellence. Il faudrait aussi trouver des dispositifs qui puissent financer les start-up. Dans cet esprit, je pense que si l’on disait, surtout dans une période de taux négatif, que nous mettions 1% de la valeur des fonds d’investissements, des fonds de pension, de l’argent institutionnel dans l’appui aux jeunes entreprises, ce serait à la fois rentable pour ces fonds à moyen terme et ce serait essentiel pour le développement économique de notre pays. Je crois profondément dans l’innovation et dans la capacité des Suisses à réussir. Pour toutes ces mesures qu’il faut mettre en place, il faut accepter la notion de risque, et c’est seulement ainsi que nous pourrons continuer d’être une des Nations les plus performantes au monde.
J’aimerais brièvement aborder la question de la transition énergétique. Est-ce que les questions écologiques ont diminué dans l’ordre de préoccupation des Suisses ces dernières années ?
Il y a quatre ans, nous étions tous sous le choc de Fukushima. Aujourd’hui, nous regardons davantage cet enfant syrien mort sur les côtes turques. La force des images peut avoir un impact sur une campagne. Aujourd’hui, l’on parle de l’immigration, des bilatérales, du franc-fort comme nous venons de discuter à l’instant. Ce sont les éléments clé qui s’invitent durant cette campagne. Je crois qu’il est du devoir de chacun de réfléchir à long terme et quand on parle de changement climatique, de pollution de l’air ou demain de l’eau, on est sur une responsabilité commune et nous devons trouver des solutions. Ce n’est pas facile parce que d’une part, le problème n’est pas perçu à court terme même si l’on sait qu’il se présentera à long terme et d’autre part, parce que cela touche tous les pays du monde et qu’il sera difficile de trouver un consensus.
Et que penser face à la fermeture du nucléaire ?
La question énergétique est fondamentale. Très souvent, on mélange le sujet du climat et le sujet de l’énergie car ce sont deux dossiers qui se recoupent. Aujourd’hui, ce que l’on voit, c’est qu’avec la baisse du prix du pétrole, la volonté d’aller vers les énergies renouvelables est peut-être un peu plus fragile et c’est dommage. La fermeture du nucléaire ou non, va dans le même sens. Il faut que l’on ressente certains besoins de produire des énergies propres pour que l’on fasse des investissements et que l’on prenne les décisions nécessaires. Le photovoltaïque peut répondre aux besoins du monde entier à condition de placer ces panneaux solaires. Le coût du photovoltaïque va diminuer peu à peu et je pense qu’il sera, d’ici quelques années concurrentiel par rapport aux énergies traditionnelles. Il y a les éoliennes, la géothermie, etc… Mais il faut, de nouveau, une volonté collective pour aller dans le sens de ces nouvelles énergies qui rendront d’une part, les maisons un peu plus indépendantes, les moyens de transport un peu plus indépendants et qui d’autres part, vont être combinées avec des tas de mesures d’efficience énergétique dans le bâtiment, dans des voitures moins lourdes avec des moteurs mixtes. Se posera la question de la conservation de l’énergie (piles à hydrogène, par exemple) et celle du transport de l’énergie pour gérer tout cela de façon intelligente. Ce sont des chantiers gigantesques, ce sont des investissements que l’on peut comparer à ceux du percement des tunnels ou des grands barrages que l’on a fait il y a un siècle. Mais c’est nécessaire et notre avenir en dépend.