Opinions: Ada Marra (PS) veut clarifier l’accord sur la libre-circulation

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Parole aux principaux candidats des Élections Fédérales du 18 octobre 2015. À un mois de l’échéance des législatives, leMultimedia.info livre une série d’interviews avec les pressentis acteurs de cet été électoral. Au programme aujourd’hui: Ada Marra (Parti Socialiste).

L’actualité est indéniablement constituée de la crise migratoire. Hors, le PS est actuellement accusé de ne pas en faire un thème phare de sa campagne électorale… Est-ce que les problèmes des migrants a pris un peu plus d’importance dans le cadre de votre quête électorale ?

Le PS ne cesse de parler des migrants. Alors, il faut distinguer deux choses: d’une part, la crise de l’asile avec les réfugiés syriens et érythréens et puis d’autre part, il y a l’initiative du 9 février 2014 qui remettent en cause les bilatérales. Concernant le 9 février, le parti a beaucoup pris la parole notamment durant la campagne, mais aussi dans la phase d’impulsion, le PS a dû répondre à une consultation. Et depuis le début notre choix a été très clair: 1) pas de contingents, 2) non à la fin de la libre-circulation des personnes et puis surtout on lutte depuis le début pour des mesures d’accompagnements pour encadrer la libre-circulation des personnes – ce que la droite refuse de comprendre. Le problème est celui-ci: nous allons très certainement revoter l’année prochaine pour clarifier la situation des bilatérales car, comme la situation est engagée pour l’instant, l’on va réussir à trouver aucune solution. Tout le monde s’accorde donc pour affirmer que l’on va revoter mais l’on ne sait toujours pas sur quel projet. Mais d’ici là, il faudra qu’on ait mis en place des mesures d’accompagnement plus solides.

Quel regard portez-vous sur l’initiative RASA, actrice malgré elle des élections d’octobre ?

Pour ma part, je suis plutôt sceptique. Mais les avis divergent au sein du parti – entre l’enchantement et d’autres plus sceptiques. Je ne pense pas que l’on puisse annuler un vote après deux ans. Les citoyens sont réputés assumer leur vote. Je serais plus favorable à revoter une clarification sur l’accord de la libre-circulation des bilatérales. Car la malignité négative de l’initiative de l’UDC, contrairement à celles initiées il y a quelques années par Schwarzenbach, est qu’elle n’indique pas de taux plafond au dessus duquel les immigrés seraient refusés sur notre territoire. Donc l’initiative veut tout et rien dire. Donc en clarifiant le cas des bilatérales et de la libre-circulation des personnes, on corrige par là l’effet pervers du texte.

Ne pensez-vous pas qu’une acceptation de l’initiative puisse porter préjudice à la démocratie procédurale – dans laquelle toute décision prise par le peuple soit bonne si elle est adoptée démocratiquement – et n’entérine une forme d’épistocratie dans laquelle il serait admis de penser qu’il y ait une bonne réponse indépendamment de la décision du peuple suisse ? Autrement dit, pensez-vous que le peuple puisse se tromper ?

Le problème n’est pas d’accepter le peuple ou pas. En deux ans, le partenaire européen nous aura donné quelques indications supplémentaires et les choses évolueront d’ici peu. Mais pour revenir un peu à votre question, nous pouvons justement nous poser l’interrogation de ce que voulait réellement le peuple. Nous pouvons nous livrer à de nombreuses interprétations; certains vous affirmeront que les citoyens voulaient irréfutablement stopper l’immigration, d’autres seront moins précis et vous diront que cela ne constituait qu’un signe de mauvais accompagnement des immigrés. Mais je vous affirme, pour avoir tenu des débats sur la question, que l’initiative était trompeuse puisque l’UDC assurait que cette initiative ne remettait pas en cause les bilatérales. Donc, la tendance n’est pas de refuser la volonté populaire mais bien au contraire, de la clarifier. De plus, si l’on revote dans le cadre du mouvement RASA, il n’est pas donné que le peuple revienne sur sa décision. Donc la tendance est précisément à la clarification.

Finalement chaque thème de campagne renvoie à l’égalité des chances… C’est le slogan-même du PS dans cette campagne. Pensez-vous que l’angélisme de gauche que vous prônez puisse être plébiscité dans une période où l’économie est peu stable, notamment avec l’abandon du taux plancher par la BNS il y a quelques mois ?

L’égalité des chances doit se faire surtout quand l’économie est peu stable parce que nous savons pertinemment que les premiers à subir la crise sont les classes défavorisées. On nous critique de favoriser plus les étrangers que les Suisses, mais pas du tout ! Il se trouve, simplement, que dans les salaires les plus bas se trouvent plus d’étrangers car moins bien formés. Donc ce sont eux qui paient le plus la casse. En aucun cas, dans cette perspective, nous ne défendons plus les étrangers que les Suisses. Depuis 2005 et la votation sur les accords bilatéraux II, nous tentons de combattre le dumping salarial, lutter contre les abus salariaux; en somme, nous avons toujours été très clairs. En conséquence de l’immobilisme présent sur le cas de la mise en œuvre de l’initiative du 9 février 2014, la Suisse doit valoriser les ressources internes. Accompagner des personnes pendant 3 ans dans l’apprentissage d’un métier, favoriser la réinsertion des femmes au foyer dans le monde professionnel, protéger les travailleurs âgés face au licenciement; nous avons d’ailleurs déposé une série d’interventions et nous sommes dans l’attente d’une réponse concrète de la part de Monsieur Schneider-Ammann.

Le PS n’a cessé de prendre de l’ampleur dans l’arène politique suisse… Et même s’il ne gagne pas beaucoup d’initiatives, il parvient tout de même à faire avancer les choses en termes de politiques publiques…

Tout à fait. Prenons, par exemple, notre initiative sur le salaire minimum. Cette votation a eu un effet escompté malgré la défaite; des hausses de salaires avaient été effectuées – pour une minimale de 4’000 francs. Concernant l’abolition des forfaits fiscaux – perdue malgré un score non négligeable de 40% pour le oui – il y a eu une modification de la loi sur les dépenses. Une initiative a, en ce sens, une pluralité de fins: lancer un débat, engager une forme de médiatisation et, finalité ultime, changer les lois. Donc nos initiatives permettent une forme d’espoir et les débats sont engagés.

Cela prouve que les initiatives du PS sont applicables sur le fond – contrairement aux déclarations de la droite ?

Oui. On se réfugie toujours sur l’administration quand il y a un problème politique. Nos initiatives ont de l’effet mais cela n’empêche pas que sur les thèmes économiques, il est difficile de faire accepter une loi étant donné la bonne représentation des entrepreneurs en Suisse. Pour la gauche de manière générale, il y a toujours une difficulté entre tenir des discours de valeurs (comme sur le mariage pour tous) ou des discours de syndicalistes, économiques (comme le droit du travailleur). Entre ces thèmes, la gauche a toujours été déchirée. Lors de cette législature, Christian Levrat a beaucoup mis en avant l’aspect économique et je pense que, sur le sujet, le PS a gagné en crédibilité, ne s’est pas battu en vain et est parvenu à préserver le peu d’État social présent en Suisse.

Vous disiez avant que les mesures prônées par le PS souhaitaient protéger ou rendre plus difficile les licenciements. Mais n’avez-vous pas peur que cela rende la mise à l’emploi plus difficile ?

Nous avons beaucoup discuté du modèle allemand et de sa réussite économique. Une étude parue récemment montrait que le modèle outre-Rhin était moins souple que celui de son voisin français. Or, le modèle économique de référence aujourd’hui est bien celui de l’Allemagne et non celui de la France. Donc la rigidité allemande – précisons qu’il y a tout de même une très grande marge d’écart entre le modèle suisse et allemand – montre qu’une solution viable est possible même s’il s’agit, ici, d’un jeu à double tranchant.

J’aimerais aborder brièvement le nucléaire… Il est un point sur lequel il est difficile de vous contredire; il est nécessaire de se diriger en faveur d’une transition énergétique. Fukushima (2011) a été l’évènement révélateur pour toute la classe politique en Suisse ?

Tout à fait. Il y a eu deux révolutions au Parlement lors de cette dernière législature: la fin du secret bancaire et la sortie du nucléaire. Ce sont deux révolutions en Suisse car ce sont des sujets où les lobbys les plus fortement représentés n’ont pas gagné. On essaie de ne pas trop parler des valeurs et parler plus d’économie; cela m’amène à aborder le sujet de l’initiative « cleantech » grâce à laquelle, l’on avait estimé une hausse de 100’000 emplois sur le marché du travail. Donc investir dans l’énergie verte, se débarrasser des énergies fossiles, semble être très intéressant du point de vue économique, outre sa nécessité sur le plan de l’écologie. Concernant Fukushima, l’effet est considéré comme étant retombé. Mais Eveline Widmer-Schlumpf affirmait avoir été sensibilisée à la sortie du nucléaire lors de l’accident de Tchernobyl et milite aujourd’hui pour la transition énergétique. Donc même si l’accident de Fukushima n’est qu’un mauvais souvenir, il aura sensibilisé des gens et peut-être que dans 10 ans, un autre personnage de droite – peu favorable à priori à cette transition verte – se mobilisera pour cette cause planétaire.