Jean Laville, Président de NiceFuture et expert en stratégies d’investissements durables affirme qu’il faut travailler sur la transition souhaitée. Beaucoup de riches activités se mettent en place à NiceFuture et un soutien manifeste de la part des entreprises est requis. La vision 2030 – qui n’est pas lointaine – est une communication importante. Le monde en transition est déjà en marche. Face à des nouvelles toujours plus alarmantes, la bonne marche des initiatives en faveur de la transition écologique est fondamentale. Entre économie et spiritualité, la seconde journée du Leadership Forum sera ainsi dédiée aux visions partagées d’un avenir incertain. Focus.
Il existe un rapport entre économie et spiritualité – à ne pas confondre avec la religion – entame Christopher Wassermann, co-fondateur de Zermatt Summit Foundation. La spiritualité se rattache à des valeurs morales : amour, pardon, bonté, joie, reconnaissance, générosité, courage, responsabilité, fidélité… Celles-ci guident le comportement humain. Ainsi, pouvons-nous remettre l’économie au service du bien commun et de la personne. Nous connaissons les limites de la gouvernance politique et du modèle économique actuel. Deux solutions s’offrent alors aux individus: l’entreprise doit, dans un premier temps redéfinir son rôle, puis – et c’est le plus compliqué – il faut travailler au niveau des comportements et sur la prise de conscience. Le XXIe siècle ne sera pas seulement un siècle de progrès technique et d’innovation mais il y aura bien une révolution des cœurs et des esprits. Penser à la personne humaine, c’est une unité importante. L’homme seul peut résoudre ses problèmes. Il faut penser aux relations entre humains car, même si penser différemment renvoie souvent à un sentiment de peur et de rejet, il faut inviter à plus d’humanité, de justice et à plus de collaboration. Il va falloir ainsi changer les règles du jeu.
Une vision commune de 2030
Mais cela n’est qu’un début. Le crédo de la prospective est que l’avenir est à construire comme l’avance André-Yves Portnoff, professeur associé au MBA de la HEG de Fribourg. La nécessité, le hasard et l’action humaine vont construire le futur. Les événements imprévisibles dépendent toutefois des décisions ou (non-)décisions que nous prenons. Fukushima n’est pas un accident nucléaire, c’est un accident de l’état de droit. Il y a une collusion très importante. Construire une centrale nucléaire sur une zone sismique et au bord de la mer était une absurdité pour maximiser les profits de la centrale nucléaire. L’avenir est largement déterminé par la vision de l’homme. Il existe toute une série de chemins qui mènent jusqu’à 2030. La question est : quel future voulons-nous (éviter) ? Si rien ne change, des catastrophes majeures sont à prévoir. Il faut donc orienter le présent vers le futur. La question n’est pas où serons-nous en 2030 mais sur quel chemin serons-nous… Le chemin est crucial, tonne Monsieur Portnoff. Il faut avoir une vision dynamique et rétrospective des choses. Depuis des millénaires, il y a deux grandes forces qui construisent l’avenir : la loi du plus fort (la loi du Talion) et la loi de l’État de droit où chacun est responsable de ses actes – c’est le début de la démocratie ; la majorité respecte la minorité. La démocratie est un système où chacun comprend que, pour se défendre, il faut défendre les droits des autres. Seuls, nous n’allons nulle part. Le modèle ultra-financier actuel dégrade la situation de la majorité et creuse les inégalités. Mais l’humanisme, la démocratie et l’état de droit renvoient aux révoltes à l’encontre de la loi du plus fort.
Deux visions de l’entreprise en découlent : d’une part, le profit immédiat, le bien financier que l’on achète ou que l’on revend… D’autre part, la construction de l’avenir : créer de la valeur pour la société toute entière comme le disait Jean Mersch en 1938. André-Yves Portnoff rappelle: « Nous construisons ensemble. Nous respirons pour vivre mais nous ne vivons pas pour respirer. Le profit est cette respiration. Nous avons assez de puissance sur Terre pour faire disparaître notre vie. Il y a une révolution oubliée, celle de l’immatériel. Le plus important n’est pas le développement de la puissance mais le discernement. Les ressources critiques ne sont plus le pétrole ou l’argent mais notre capacité intellectuelle à discerner la réalité. Nous devons comprendre la complexité ». Il suffit d’un petit changement pour modifier considérablement l’avenir, un évènement contingent comme le disait Dobry. « Chacun de nous a un poids sur l’avenir et il n’est pas arithmétique. – continue le professeur de la HEG – On peut changer le monde si on prend au bon moment, les bonnes initiatives. Chacun de nous a une influence exponentielle. En tant qu’entrepreneur ou simple citoyen, nous pouvons changer les choses à condition d’avoir de l’empathie pour les autres ». La construction de projets en collaboration et en oubliant la bête concurrence sera bénéfique. Les valeurs humanistes n’entravent pas la réussite durable, elles la conditionnent. C’est le ressort sur lequel il faut s’appuyer. Il faut favoriser un management par le sens et l’écoute car la compétitivité passe par le « bonheur au travail ».
Le droit carbone, un véritable outil pour la durabilité
Almir Surui Narayamoga est connu pour sa lutte. Il est parvenu à faire la démonstration avec son peuple qu’il est possible de gérer une forêt tropicale de manière durable. « Il faut porter la parole, la voix de la forêt en Europe« , soutient en outre Thomas Pizer, président de l’association Aquaverde. À l’IMD, rencontre avec un héros de la lutte pour la cause amazonienne.
Le combat est relativement ancien. Almir et son peuple rencontrent pour la première fois, en 1969, un peuple non-indigène: « Ce fut un gros problème pour notre peuple. Nous étions plus de 5000 en 1960 et après 3 ans de contact, nous n’étions plus que 300. Maintenant nous sommes à nouveau 1400 personnes sur un territoire de 2050 hectares. Tous ces problèmes ont montré que nous devions avoir une communication différente avec ces nouvelles civilisations. Mon père et ma mère sont des survivants de ces épidémies. Et moi j’ai été confronté à tous ces problèmes tout de suite, dès ma naissance ». Aujourd’hui, les défis se suivent et se ressemblent: comment survivre ? « Dans les années 1980 – poursuit le chef de tribu en Amazonie – nous avons dû faire face à de nouveaux conflits, telle la déforestation. Nous avons alors commencé à lutter pour démontrer à quel point la forêt est importante pour l’être humain. Nous avons alors commencé à chercher des solutions à ces problèmes. Nous avons appris le portugais et avons pu montrer au monde nos visions pour le futur. La communication était possible avec le monde. Pas seulement environnementalement mais aussi économiquement pour garder un équilibre pour le monde entier. La lutte est de montrer que la forêt sur pied a un futur, une vie. Parce que pour nous qui la connaissons bien, nous savons qu’elle peut nous aider ». La conserver n’est pourtant pas facile comme en témoigne Almir: « Aujourd’hui, nous devons montrer à nos jeunes qu’il est possible de travailler de manière durable. Le plus grand défi est le modèle de développement proposé par notre association Surui Carbono. Sur la planète, il n’y a pas énormément de conscience sur la durabilité. À notre peuple, nous devons lui montrer la responsabilité que nous avons à cet égard. Plus que la responsabilité, il y a l’attitude et l’action que nous devons adopter. Nous sommes jeunes dans notre tribu. Et depuis l’âge de 17, je lutte pour les causes de celle-ci ».
Avec Surui Carbono – qui entreprend courageusement une reforestation de l’Amazonie – Almir Surui Narayamoga veut créer un dialogue entre l’économie et la science: « Pour nous, ça a été une marque très importante pour comprendre notre vie aujourd’hui. Nous ne disons pas que la forêt est intouchable. On peut produire mais il faut avoir des critères de production avec des responsabilités sociales, environnementales et économiques. Le défi que nous avons chez nous, vous l’avez aussi chez vous. Nous devons joindre la lutte et utiliser tout notre potentiel et notre attitude personnelle (spiritualité). Il faut que chacun de nous aie sa propre responsabilité en tant que personne spirituelle. Nous devons unir tout notre potentiel pour être ensemble car seul, personne ne peut réussir quoi que soit. Nous discutons avec le monde entier. Pas seulement discuter mais aussi négocier financièrement ». Comment penser un développement durable en créant une conscience chez le consommateur ? Les produits de consommation doivent être emprunts de cette conscience. L’origine des produits de consommation est un élément très important. Nous pratiquons ensemble la durabilité, comme par exemple, la reforestation. Comme le rappelle Almir: « Ce n’est pas seulement parce que nous trouvons que les arbres c’est sympa. Nous en avons besoin. L’homme aide l’arbre et l’arbre aide l’homme. Chacun doit faire sa partie avec respect en valorisant la culture de chacun. Je vois souvent que les gens ne comprennent pas la forêt et sont peu informés. Un défi est d’amener des informations sur le potentiel de la forêt. Ainsi, les gens vont donner de la valeur que quand elle aura une valeur pour eux-mêmes : médecine, valeur culturelle, nourriture, etc… L’arbre est aussi un service à l’environnement ».
Il paraît absurde de détruire cette forêt car il reste 98% à étudier encore. Ces 98% de recherche peuvent révolutionner la science et la médecine. La forêt est vivante, elle bouge. Il faut envisager un futur, mais il faut d’abord savoir comment l’organiser. L’arbre acquiert un caractère symbolique et spirituel pour les Surui. L’arbre parle, transmet des informations, transmet sa force… et nous permet de vivre.