G21: Financer la durabilité en entreprise, comment?

François Vuille, directeur du développement du Centre de l'énergie à l'EPFL. Source: Alain Herzog/EPFL 2015

Financer la durabilité en entreprise, un risque. Un risque mais également un facteur décisif vers l’accomplissement de la troisième révolution industrielle, un défi de taille mais nécessaire. Les questions qui ont animé ce débat ont donc cherché à définir le rôle de la finance dans cette transition écologique et la manière donc le capital risque peut être appréhendé. Un débat modéré par Jean Laville, président de Nice Future.

Toute problématique a son contexte. Pour François Vuille, directeur du développement du Centre de l’Énergie à l’EPFL, il importe de préciser ce dernier en distinguant entre d’une part l’innovation technologique et de l’autre le déploiement de solutions durables en entreprises. C’est précisément ce dernier point qui anime le présent échange. En effet, des solutions existent déjà sur le marché, l’innovation technologique ne présente donc une difficulté particulière. La problématique, en revanche, est celle de savoir comment réaliser ces solutions qui existent actuellement, comment faire en sorte que ces dernières puissent effectivement être opérationnelles et partie intégrante des entreprises. Une dynamique qui se réalise de manière sensiblement différente selon les pays et les régions culturelles concernées. Globalement, le constat est celui d’une divergence entre les pays occidentaux et la Chine. Entre, si l’on peut dire, capitalisme libéral et capitalisme d’État. François Vuille exprime ainsi cette réalité: « L’Europe est un berceau d’innovation technologique. Mais en termes de transferts technologiques, la Chine prime ». Une particularité toute chinoise qui s’explique tant par des facteurs structurels que culturels. « Les chinois ont plus de marges de manœuvre, prennent plus de risques, sont plus visionnaires » explique-t-il. Et la Suisse ne ferait pas défaut à la tendance des états occidentaux, européens ou américains. S’il est vrai que, selon l’intervenant, l’Europe connaît un net phénomène de dé-industrialisation et que la Suisse peut se vanter d’avoir su découper ses émissions énergétiques tout en maintenant sa croissance économique, la distance avec la Chine est toujours nettement considérable: « l’innovation est donc à faire ». Une innovation qui se présente par conséquent sous deux aspects. D’un côté, une innovation purement technologique, de l’autre l’adoption de cette dernière par les entreprises, l’innovation en entreprise, la véritable innovation si l’on peut dire. À ce niveau là, comment financer cette dernière? Parmi les multiples moyens qui peuvent se présenter, François Vuille opère dans un premier temps par exclusion. Ainsi, selon l’intervenant, le financement par modèle de crédit bancaire ne donnerait aucun résultat positif dans cette direction. Il s’agirait même là d’une option sensiblement dangereuse. Un rejet qu’il justifie finalement en affirmant que « ce mode de financement classique ne donne lieu qu’à un capital risque ». Dès lors, un mode d’engagement pour les startups (jeune entreprise à haut potentiel de croissance) serait de lever de l’argent sur fond de subsides, à savoir par aide financière.

À Olivier Ferrari, CEO de Coninco Explorers in finance SA et organisateur du panel, d’intervenir. Ce dernier définit à sa manière le contexte dans lequel s’insère cette problématique du financement de solutions durables en entreprise. En partant de la question de savoir si la pression financière sur la dette peut se présenter comme une occasion pour la durabilité, il en vient à définir la vision que nous pouvons avoir de nos société et de nos systèmes économiques: « Aujourd’hui nous avons un problème de « pays abouti », de « pays riche », d’« économie aboutie » » explique-t-il. Un environnement largement caractérisé par la non prise de risque au niveau des entreprises. Là est, selon l’intervenant, le cœur du problème: « Nous n’avons pas d’éducation au capital-risque, au sens de « capital opportunité ». On devrait d’ailleurs l’appeler «capital opportunité» et non plus capital-risque. Penser « risque » est un problème de pays riches ».

À situation problématique, solution hypothétique. C’est Martin Rohner, Directeur de la Banque Alternative Suisse, qui se charge à présent de proposer son mode de financement de la durabilité au sein des entreprises dans un contexte marqué par la réticence face au capital risque ou, selon la préférence d’Olivier Ferrari, face au capital opportunité. C’est en effet la position de Martin Rohner: « il faut prendre le risque de la durabilité ». La finance doit accepter de prendre des risques, de parier sur l’innovation, dans la perspective d’une économie durable. Le tableau est toutefois moins pessimiste à en croire les paroles du directeur de la Banque Alternative Suisse. Des entreprises auraient déjà réussi leur transition écologique. Le problème ne serait donc pas fondamentalement celui du financement de cette dernière. Selon l’intervenant, les marges sont tellement petites aujourd’hui qu’il n’est plus nécessaire de prendre des risques par le biais du financement traditionnel. Ce qui le mène à proposer son modèle de financement optimal: le crowdfunding, ou financement participatif. « Le crowdfunding permet une relation très directe entre emprunteurs et investisseurs, précise-t-il, il permet aussi de créer une focalisation thématique, d’émouvoir le financement. La possibilité est alors de positionner une nouvelle technologie« . Aussi, un autre avantage de ce mode de financement est sa nature proprement désintermédiée. « Le crowdfunding se déroule encore aujourd’hui à l’extérieur du secteur bancaire ce qui laisse une plus grande marge de manœuvre » explique Martin Rohner. Le financement participatif constitue néanmoins pour ce dernier un marché encore trop réduit, du haut de ses 16 millions de francs suisses annuels contre les 130 millions au niveau des financements traditionnels. Le crowdfunding est donc, selon l’intervenant, un mode de financement à développer afin de répondre à la présente problématique, une solution actuelle et future.

Aymeric Jung, co-fondateur de Slow Money Francophone, revient sur le sujet en décrivant le monde financier actuel, targuant une finance déconnectée des besoins de l’économie réelle, rentière, spéculative et privatisant les gains. Une finance qui ne se fixe plus d’objectifs communs, qui n’ose plus soutenir certains projets comme la durabilité en entreprise. Un changement de paradigme intervient toutefois avec la crise de 2008. Une crise qui révèle, selon Aymeric Jung, « des besoins et des envies ». Parmi ces besoins, la durabilité, de nouvelles valeurs, de nouvelles entreprises, une reconsidération du modèle économique actuel. Une démarche constructive s’est donc mise en place, une réflexion sur le mode de financement de ces nouveaux besoins. Dans une société caractérisée par la culture de la rapidité et du hors-limites, parmi les nombreux mouvements qui émergent dans ce contexte, le Slow Movement intervient afin de ralentir le rythme général et pour « remettre de la mesure dans la démesure ». C’est alors qu’émergent les mouvements culturels comme le « slow food » ou encore celui de « slow money ». Alors que le premier œuvre pour plus de souveraineté alimentaire, s’opposant au « fast food », à l’agriculture de masse ou aux manipulations génétiques sur les produits de consommation, l’idée du « slow money » consiste à faire converger et rencontrer les envies au niveau affectif-local. Un mouvement qui a souvent et également recours aux plateformes de crowdfunding. « Slow money finance la durabilité et financer la durabilité c’est amener le capital risque vers la durabilité » explique l’intervenant. Comment amener ce financement? Pour Aymeric Jung, il s’agit d’aboutir à des outils durables comme le partage du cash flow par le biais d’investissements à long terme.

Finalement, tous les participants à cette discussion convergent sur la nécessité d’éveiller en Suisse comme en Europe, parmi les entrepreneurs notamment, la volonté d’opérer une transition écologique au sein des entreprises. « Aujourd’hui nous avons besoin d’un capital patient. Les petits entrepreneurs sont convaincus de leur produit, ils ne se remettent pas en question. Leur soucis de durabilité est donc moindre. Or, nous avons tout en Suisse pour avancer » explique Olivier Ferrari. De la création de technologies de la durabilité, l’Europe parviendra-t-elle à créer des entreprises durables? Une lueur d’espoir pour l’organisateur du panel: « le financement de ces startups commence, mais ça prend du temps ».