Quels sont les vecteurs du changement social ? Une séance du Forum du G21 propose une solution pour favoriser cette transition : soutenir le Business vert made in Switzerland. Face à une mauvaise lecture des indicateurs économiques actuels, Hervé Naillon, Adèle Thorens, Claude Béglé et Sofia De Meyer ont longuement débattu sur l’avenir des produits bio dans la vie des consommateurs actuels. Focus.
Les initiatives de la transition écologique se fondent en amont sur la recherche de possibles accélérateurs. De nouvelles positions des tribunaux des États face aux problèmes des gaz à effet de serre sont à espérer ainsi qu’une réappropriation des entreprises et des citoyens de l’économie verte. Le seul problème : les patrons et managers entrevoient cette perspective comme une pression en terme de coûts et de productibilité. C’est pourquoi un rôle bien défini du citoyen s’impose en prenant position au niveau politique, en soutenant les initiatives et les réformes attendues ; la figure du citoyen responsable réside justement dans un vote de position qui soutienne cette transition écologique. Mais René Longet, expert en durabilité et vice-président des Services Industriels de Genève, pose légitimement la question du « Que fait-on maintenant ? ». Dans le marché du vert, dit-il, l’objectif est de devenir le mainstream. La première manche est d’exister. Un rassemblement en est par conséquent précieux ; les citoyens doivent faire partie d’un même mouvement. Une carte de l’avenir à composer donc.
Pour les produits bio, le premier levier est celui de l’institutionnel. Le besoin de sensibiliser les consommateurs qui ne prennent pas en compte les externalités négatives de la production industrielle est une étape providentielle. Chacun peut choisir ses élus et voter démocratiquement pour son candidat favorisant l’écologie durable. Cependant, attirer l’attention au simple citoyen-consommateur n’est de loin pas suffisant. La seconde étape reste bien évidemment la sollicitude de l’entrepreneur car, logique implacable, pas d’entreprise sans entrepreneur. Un soutien aux entrepreneurs et entreprises durables est ainsi requis pour avancer efficacement dans le sens de la durabilité. Une prise constante de conscience est au cœur des débats.
Bénéfices, taxes et écologie, un mariage impossible
Hervé Naillon, expert en durabilité, évoquait, au sein du débat, Aristote. Il voulait mettre en exergue les valeurs distinctives qui composent la Fondation 2019 dont il est consultant indépendant. Il est important de distinguer – comme le préconisait le fameux philosophe grec de l’Antiquité – l’économie de l’écologie : « Aristote dénonçait ceux qui faisaient de l’argent pour de l’argent, ce qu’il avait nommé par la suite, la société de la chrématistique ». Selon l’expert, il faut trouver des méthodes pour « faire » l’économie. Aujourd’hui, il y a des reports avec beaucoup d’externalités négatives. Faire de l’argent pour l’argent est loin de quelconque principe écologique : « Il faut donc essayer de développer des outils en Open Source. Le consommateur final doit avoir un coût le plus réel possible ». Pour ce faire, un moyen : valoriser les impacts directs environnementaux et arrêter de faire du chiffre.
Un moyen d’alléger la course aux bénéfices des entreprises impliquerait l’adoption de taxes de production. Mais Adèle Thorens, conseillère nationale verte vaudoise à Berne et co-présidente des Verts Suisses, n’en est pas pleinement convaincue. Selon elle, le problème réside en amont de la phase de production : « Plutôt que de passer par la taxe, il faudrait déjà penser à ce que l’on subventionne. Arrêtons de subventionner ce qui est exagéré. Le débat sur les taxes est très difficile même si pertinent. Il faut donc réduire les subventions qui vont à rebours de l’énergie durable ». Un exemple, ne peut qu’illustrer ce propos, toujours selon la députée à l’Assemblée Fédérale : « Prenons l’exemple du nucléaire, il n’existerait pas sans l’État. Car c’est une énergie très chère. L’État prend en charge les coûts du réchauffement climatique et des assurances pour les centrales ». Une politique serait ainsi souhaitée ? Pouvons-nous, en toute logique et de manière objective avoir une vérité des coûts sur l’impact à la nature ? Malheureusement pas. Les mécanismes du marché ne semblent, de plus, pas fonctionner : une ressource rare devrait être plus chère, mais cela ne se vérifie pas : « Le jour où ces ressources seront chères, ce sera déjà trop tard car il y aura eu déjà trop de dégâts et les pénuries seront inévitables ».
Toutefois, Claude Béglé, CEO SymbioSwiss et membre du comité stratégique de NiceFuture, affirme qu’il faut rester dans le monde du possible et ne pas se cantonner au monde du désirable. En effet, un perpétuel conflit règne entre le court terme possible et le long terme désirable. La question environnementale est aujourd’hui moins présente qu’elle ne l’était lors de l’élection fédérale d’il y a quatre ans. Aujourd’hui, la politique suisse reste fixée sur le confort et l’immigration et rejette sur l’échelle des débats, les réflexions du durable. Mais le Pape François a remis le débat écologique au centre de toute attention et cette prise de position va, selon Monsieur Béglé, aider à aller dans le bon sens. Mais le problème est loin d’être éradiqué : « Dans un cadre juridique, le droit suit la société. Il a toujours un ou deux crans de retard. Nous sommes dans des installations très « capital intensive ». Ce qu’il faut, ce sont de nouveaux investissements à développer face à ceux déjà présents et réduire les externalités sans créer des administrations supplémentaires ». Mais la difficulté phénoménale à créer un nouveau marché s’annonce complexe car tout le monde s’assoit sur son avantage au détriment de la promotion des énergies renouvelables : « Économiquement pour le pays, il faut le développement de nouvelles technologies. Et pour ce faire, il faut réduire la position dominante des grands intérêts économiques », conclut Claude Béglé.
Favoriser une conscience collective et une communication efficace
Sofia De Meyer, CEO d’Opaline Factory, souhaite, quant à elle, favoriser une conscience collective à la transition écologique. Et elle n’est pas utopique, elle existe. Beaucoup d’exemples concrets montrent que les consommateurs ont envie d’être éveillés par tous les critères énergétiques planifiés. Depuis 2011, il y a une croissance annuelle de 120%. Donc ladite conscience collective existe et c’est une excellente base. La recherche de la collectivité et de la communication est un fondement solide à la construction d’une nouvelle réalité. Mais plusieurs entraves se dressent sur la route de la transition. La première est le prix. Le coût de production d’une marchandise bio est élevé et cette dernière se voit par conséquent pénalisée sur le marché : « Pour un consommateur, le bio va coûter 30 à 40% plus cher – avoue Sofia avant de continuer – mais, s’il y a de la qualité dans le produit, le consommateur est prêt à investir plus ». Cependant un second obstacle est à outrepasser et il est d’ordre juridique : « Dans le cadre alimentaire, nous sommes sujets à l’ordonnance de l’étiquetage et c’est une pénalisation. Cela implique que nous n’avons pas le droit de dire que la pomme a un bénéfice sur la santé ». Il y a donc un décalage mais l’aide de l’entrepreneuriat peut favoriser une communication sur le sujet et aider à atteindre les objectifs espérés dans un avenir proche.
En terme de communication, comme l’affirme Hervé Naillon, la conscience collective opérée par les clients fait partie des quelques externalités positives de la campagne. La confiance et l’empathie sont ici nécessaires : « La communication fait partie des coûts. Le durable est un objet porteur de valeur. L’industriel n’est qu’un projet marketing. Il faut une conscience. Le commerce est d’abord un échange et se base essentiellement sur un rapport de confiance » argumente Naillon. Toutefois, il y a des secteurs où la communication est plus facile et dans l’alimentaire, la communication en terme de santé aide. Mais ce n’est pas toujours le cas comme le rappelle Claude Béglé. Toujours est-il qu’en terme de conscience sociale, il y a encore beaucoup de boulot car l’écrasante majorité des consommateurs ignorent encore cette transition.
Refonder nos habitudes sociales et privées
Que faire des déchets non ramassés et laissés sur l’herbe, dans la rue ou au plein milieu d’un parc ? Quel rôle endossent les gens face à cette incivilité ? Adèle Thorens affirme qu’un changement des rapports à l’espace public a été opéré pour la société, impliquant inéluctablement une modification des habitudes alimentaires : « Avant, on mangeait à l’intérieur, à côté d’une poubelle. Maintenant, on mange dehors et ça cause des déchets. Tout le monde est acteur du changement mais il y a également un rôle de l’État face au consommateur car c’est l’État qui nettoie et répare nos torts ». La conseillère nationale verte pose à juste titre la question « d’où viennent tous ces déchets ? ». Une intervention en amont doit être envisagée selon elle. Comment inciter ceux qui mettent ces déchets en circulation à en mettre moins ? et comment les inciter à participer au nettoyage et au partage des responsabilités ? Qui sont ces producteurs de déchets ? Les réflexions sur le principe de la notion de responsabilité est centrale ici. Plus on monte en amont, mieux c’est. Comme le dit Claude Béglé : « Il faut agir en amont, plutôt qu’en aval et s’approprier l’espace public. La fierté publique évite les délits et l’irrespect. Il faut jouer sur cette fierté publique ». Mais encore une fois, des bases légales rendent compliquées ces prises de position. Et l’État doit-il toujours nettoyer derrière nous ? Toutes des questions qui sont à l’ordre du programme du Forum du G21. Une prise de conscience et de position sont alors à espérer pour chaque habitant de la planète Terre. À nous de faire en sorte que cela ne devienne pas utopique.