Blues Rules Crissier Festival, Thomas Lécuyer: « Tout le monde va amener sa chaleur et sa générosité »

© Thomas Joubert

Le Château de Crissier s’apprête à recevoir pour la sixième fois, le désormais annuel Blues Rules Festival. Ancré dans une forte culture traditionnelle, le festival vous amène cette année dans le Mississippi, une occasion pour découvrir le folklore universel de la musique blues. leMultimedia.info a rencontré le co-fondateur du festival, Thomas Lécuyer et vous propose une présentation presque exclusive du Festival dans son ensemble. Interview.

Tout simplement, comment est né ce Festival ?

Alors, l’idée est venue avec le lieu qui est le Château de Crissier et avec la commune, nous nous sommes demandés comment faire pour ouvrir le lieu une fois par année au public. C’est vraiment pour Crissier qui est plus connu pour ses zones commerciales, ses concessionnaires automobiles. Mais en dehors de cela, le village n’est pas très connu et on voulait mettre en avant ce patrimoine: un beau jardin, un beau terrain. Donc l’idée était de faire un petit festival open air, mais il en existe déjà beaucoup en musique: jazz, rock, etc… Donc on a essayé de trouver un style différent pour la ville et on s’est réunis avec un de mes amis, Vincent, qui lui est très branché blues. Je le suis aussi mais moins que lui. Il a vraiment des connexions très fortes avec le Mississippi et les États-Unis alors que moi, j’apprécie plus la musique afro-américaine dans son ensemble, le jazz, la soul music, le funk, etc… Et en discutant ensemble, on s’est rendu compte que le style blues fonctionnait bien et il nous ferait partager notre passion pour ce genre de musique qui a donné naissance à la plupart des musiques qu’on écoute actuellement.

Dans l’âme du Festival, on ressent votre tentative de lier les Rives du Léman au blues mississippien. Mais est-ce que ce lien a été forcé ?

Je ne dirais pas que le lien ait été forcé. Disons qu’on a trouvé un chouette écrin et il a tout simplement fallu choisir une histoire à raconter par la suite. J’aime bien les festivals qui racontent des histoires. Je trouve qu’il y a beaucoup de festivals de musique et beaucoup perdent leur âme dans la recherche de la popularité. Moi, j’aime les festivals qui parlent d’un sujet et qui m’emmènent dans un univers. Paléo le fait très bien par exemple avec le village du Monde qu’ils ont monté il y a sept ou huit ans. C’est presque un festival dans un festival où on voyage à travers le Monde. L’an dernier, c’était les Andes et pendant huit jours on se trouvait dans les Andes. Cette années, c’est l’Extrême Orient et j’imagine qu’on va se retrouver au Japon ou autre part. Le festival est très fabuleux pour ça. Nous, on a eu envie de se lancer dans ce genre d’entreprise. Dans cette banlieue de Lausanne, pendant deux jours, vous allez vous croire en plein cœur du Mississippi et on va vous raconter l’histoire de cette musique. C’est important, il faut trouver un lieu et l’idée qui donne du sens à ce lieu.

Beaucoup d’artistes font leurs premières européennes au Blues Rules Crissier Festival. Les contacts au Mississippi se sont faits facilement ?

Oui, assez facilement. Vincent est allé plusieurs fois là-bas et il connaît notamment très bien le parrain du Festival, le bluesman Kenny Brown qui a monté un festival aux États-Unis, en Caroline du Nord et dont on s’est beaucoup inspirés. Notre festival est devenu un peu son jumeau. Ça nous a permis d’avoir de très bons contacts, de tisser des liens assez personnels avec beaucoup de musiciens et ensuite le bouche-à-oreille se fait. Les gens sont contents de leurs expériences en général et ils en parlent, ce qui fait qu’on peut accueillir des musiciens toujours plus connus et se constituer un réseau de plus en plus développé.

Une première journée d’introduction, un rendez-vous cuisinier en début de seconde journée, et le final le samedi soir… Le programme a été pensé pour permettre le mieux possible l’immersion au sein de cet univers vaste…

Voilà. Le vendredi 29 mai est consacré au blues un peu plus généraliste, plus grand public en recevant Lucky Peterson qui est un habitué des grandes scènes et des grands festivals. Il est allé très souvent à Montreux ou dans d’autres grands festivals de jazz. En tête d’affiche, cette année, il y a également quatre groupes suisses et un blues touareg avec un groupe d’Afrique du Nord; de quoi montrer la diversité de ce style musical. C’est quelque chose de très varié, très vivant. On a vu du blues un peu plus punk, un peu plus moderne et le samedi est vraiment consacré au blues des origines avec une journée dédiée au Mississippi. Il y aura beaucoup d’artistes qui se connaissent entre eux. Ils seront six à venir, six américains qui se connaissent de longue date. Ils ont chacun leur carrière solo mais ont aussi fait des projets communs. Donc tout cela va donner des programmations assez protéiforme. Tout le monde va amener sa chaleur et sa générosité. On a également la chance d’avoir Sarah Savoy qui est une musicienne qui joue de la musique cajun et qui est ambassadrice de la culture cajun, une culture francophone implantée en Louisianne. Elle va se produire sur scène avec son groupe « Sarah Savoy and funk alliance » mais elle va aussi se prêter à la cuisine le samedi pour les festivaliers car elle est aussi cheffe de cuisine; elle donne des cours, elle fait des vidéos, elle a écrit des livres et a une école de cuisine. Donc on retrouve ce côté chaleureux, familial qui est important parce qu’on est un petit festival. On peut accueillir 800 personnes donc il faut profiter de cette petite taille pour ne pas en faire un défaut. On y va parce que c’est tout petit et parce qu’il se passe des choses qu’on ne retrouve pas chez les grands.

La programmation est un peu une salade mixte avec des groupes suisses et des groupes américains plus expérimentés dans le blues traditionnel. C’était important d’introduire cette double facette entre le blues traditionnel américain et le suisse ?

Oui, le but est de proposer quelque chose d’authentique. Beaucoup de festivals de jazz ou de blues sont maintenant perdu dans le commercial et sont par conséquent moins authentiques. Nous, ce qui nous intéresse, c’est vraiment de raconter l’histoire de ces musiciens qui ne sont pas professionnels pour la plupart. L’un est bûcheron, l’autre est mécanicien, le troisième est cuisinier mais ça fait aussi 60 ans qu’il joue du blues. Ils ont jamais vraiment pu vivre donc ils ont un job à côté. Voilà, ce sont ces vrais gens qui font une musique très marquée, très ancrée dans une culture mais qui parle à tout le monde en même temps parce que le blues est un style de musique universel. C’est aussi la force de ce terroir parce que c’est vraiment un terroir particulier d’une région typique des États-Unis. C’est un folklore qui est absolument universel. Tout le monde connaît le blues et tout le monde ressent quelque chose en l’écoutant. Alors que la bourrée auvergnate ou encore le yodel suisse sont des genres de musiques beaucoup moins universels alors que ce sont également des folklores.

Dans le monde des festivals en Suisse Romande, on retrouve le jazz à Cully ou encore le rock à Pully… Le but est maintenant de faire du Blues Rules Crissier Festival un rendez-vous incontournable de l’agenda annuel vaudois, romand ou encore suisse ?

Oui, c’est vrai que les deux exemples du Cully Jazz Festival ou encore le For Noise à Pully sont très pertinents. Ce sont des modèles pour nous. Ces festivals ont su durer dans le temps, qui ont su garder une petite taille et avoir une programmation prestigieuse tout en préservant leur âme. Et je trouve amusant de voir le rock à Pully, le jazz à Cully, le blues à Crissier, l’électro à Lausanne ou encore du soul avec le Holy Groove Festival. C’est bien les petits festival comme ça qui parlent d’un style et qui nous emmènent vers une culture, un univers. C’est chouette.

Tu parles beaucoup de la petitesse du Festival. Tu es aussi le programmateur du Lido Comedy & Club, une petite salle de spectacle mais qui fonctionne tout aussi bien. Tu as vraiment l’amour de la simplicité et du petit…

Oui, j’ai toujours été persuadé que ce n’était pas la taille qui comptait et qu’on pouvait faire de très très belles choses dans des petits lieux. Et plus c’est simple, plus c’est petit et mieux ça peut marcher. C’est pas non plus pour se positionner en outsider face aux grosses machines, mais c’est bien de proposer un peu d’artisanat. C’est un peu comme l’épicerie de quartier face au grand supermarché, les produits seront toujours meilleurs dans l’épicerie de quartier.

Robert Belfour, une icône du blues, nous a quitté le 24 février dernier comme le relate votre dossier de presse. C’est aussi en hommage à cet homme que vous allez engager la sixième édition du Festival cette années ?

Oui, c’est un musicien qui nous a beaucoup inspirés, qui pour le coup jouait un blues très ancré dans les collines du Mississippi, dans le delta, dans ce terroir qu’on aime explorer. Robert Belfour n’a pas été reconnu à sa juste valeur en dehors des États-Unis et la preuve est qu’il est décédé et sa famille n’avait même pas les moyens de lui payer une pierre tombale. Du coup, on a lancé une souscription avec d’autres associations ou festivals aux États-Unis pour essayer de réunir des fonds pour qu’il puisse avoir une pierre tombale et une sépulture digne de ce nom. C’était un grand monsieur du blues qui nous a inspiré le logo du festival. D’ailleurs, le bonhomme qui est assis avec sa guitare, c’est lui. La dernière fois qu’il est venu en Europe, c’était pour le Blues Rules et il avait même joué au Lido. Donc voilà, notre petit festival et tous ces petits lieux peuvent mettre en avant l’humain. Et si il y a bien quelque chose d’important dans la culture, c’est l’humain. Surtout pas l’argent.

Et pour conclure sur une note un peu futuriste: la septième édition du Blues Rules est déjà en préparation ?

J’espère ! Mon rêve, ce serait d’avoir un jour, comme Cully, un festival qui arbore fièrement ses 33 ans d’âge tout en ayant jamais perdu son âme. Sinon, il y a un festival que j’admire beaucoup: c’est le Paléo. Ils ont 40 ans cette année et ils ont pas perdu leur authenticité non plus. Et ça, c’est bien. D’autres en revanche, ont perdu leur âme, et ça c’est moins bien (rires).

Merci beaucoup Thomas. On souhaite une bonne suite au festival !

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