D’un côté, la souveraineté nationale et la voix du peuple législateur. De l’autre, les accords internationaux et l’expression des droits fondamentaux. Droit interne et droit international ne font pas souvent bon ménage. Cela est particulièrement vrai de la Suisse. Afin de cerner la problématique, une conférence-débat s’est tenue le 4 mars dernier à l’Université de Lausanne, organisée par l’association Mosaïque. Compte rendu.
Auditoire à moitié rempli. Pas suffisamment pour ce qui constitue un sujet d’actualité de grande importance pour la Suisse, notamment au moment où l’UDC lance son initiative populaire pour la primauté du droit Suisse sur le droit international, intitulée « le droit Suisse au lieu de juges étrangers, dite initiative pour l’autodétermination ». Un titre clair ; une initiative s’inscrivant dans un débat et une réflexion intense qui dure depuis plus de vingt ans déjà et nécessitant l’opinion d’experts pour en saisir l’origine et la portée.
Afin de dévoiler la complexité de la question, deux spécialistes ont été conviés à cette conférence-débat. Francesco Maiani, professeur assistant à l’Institut des hautes études en administration publique à la charge de l’Unité d’enseignement et de recherche « d’Europe et mondialisation » et Luzius Mader, directeur suppléant de l’office fédérale de la justice et directeur du domaine de droit public.
« Une relation qui est devenue tendue »
C’est avec ces mots que le professeur Maiani décrit l’état actuel des relations entre droit international et initiative populaire suisse. Température prise en considérant que depuis l’an 2000, deux initiatives populaires, en particulier, dérogeant au droit international, ont été soumises au vote. Nous avons connu par le passé l’initiative populaire « pour la protection des régions alpines contre le trafic et le transit », approuvée par le peuple et le canton le 12 février 1994. Nous connaissons vingt ans plus tard l’initiative populaire dite « contre l’immigration de masse » acceptée le 9 février 2014. Autant de décisions qui ont entraîné leur lot de conséquences sur les relations bilatérales avec la communauté internationale. La Suisse étant un petit pays tourné vers et vivant de son exportation, nous cernons dès lors toute la portée et l’importance du sujet. Question substantielle.
Mais que s’est-il passé en 20 ans d’histoire constitutionnelle suisse ? Le phénomène observé depuis l’an 2000, véritable « éclosion » selon les termes de Mr. Maiani, c’est la présentation devant le peuple et les cantons d’un nombre toujours plus grand d’initiatives populaires contraires, dans une certaine mesure, aux accords internationaux. Or, suppose le professeur, « le droit international est devenu une bonne cible à des fins électorales ». Dans cette perspective, le risque est celui d’une stratégie pour les politiques électorales « non pas parce qu’il y a un problème urgent à résoudre et qui demande ce type d’action mais parce que c’est bon d’aller à l’encontre du droit international », précise-t-il. À débattre. Les contradictions entre droit constitutionnel et droit international poussent néanmoins la Suisse à devoir choisir entre la violation de ses engagements internationaux et la non-application du droit constitutionnel en vigueur. Considérant la primauté du droit international tel qu’elle est avancée dans la convention de Vienne, la question se pose de savoir ce que l’on fait avec le droit interne. Une autre interrogation fondamentale se pose dès lors: celle de savoir comment trancher en cas de conflit et comment prendre en charge de telles initiatives populaires. Dans une Suisse où le sens de souveraineté nationale est fortement ancré, mais qui, en même temps, est très dépendante de ses engagements envers le droit international, la question de corrections et de solutions en vue d’un équilibre s’impose.
Vers un point d’équilibre
Après avoir identifié le problème, à Luzius Mader de proposer son top 10 des solutions, sous forme de réformes déjà discutées aujourd’hui. Des « remèdes qui ont pour but de mieux concilier le droit interne au droit international » précise-t-il, de mieux ajuster le principe démocratique au principe élémentaire, englobant ainsi les droits dits « fondamentaux ». Se posent donc pour lui la question de la validité des initiatives et des systèmes de validité associés envisageables, la question de la légitimation démocratique des traités internationaux, de l’extension du contrôle de la constitutionnalité, la séparation des pouvoirs en Suisse comme celle de la culture politique qui joue un rôle considérable dans ce contexte. Mr. Mader propose donc une application plus conséquente des critères de validités que nous avons déjà dans la constitution. Critères qui « ne servent actuellement à rien », l’Assemblée fédérale ayant selon l’expert, « une tendance manifeste à accepter la validité des initiatives populaires », ce qui implique pour lui la nécessité de « lire le texte constitutionnel de manière correcte ». Il suggère également d’ancrer la primauté du droit international dans la Constitution. Renoncer à l’immunisation des lois fédérales et donc une extension du contrôle de la constitutionnalité des lois fédérales serait une autre option. En d’autres termes, les ordonnances faites par les organes suisses devraient être compatibles avec la constitution suisse et, dans un cadre plus large, à la constitution européenne et donc davantage en accord avec les droits fondamentaux. Une autre proposition serait celle de soumettre les initiatives populaires à un examen préalable afin de prévenir tout abus de droit. On ne permettrait donc pas le lancement d’une initiative populaire qui irait contre le droit international. Autre réforme envisageable : renoncer aux titres des initiatives afin d’éviter des formulations trop démagogiques ou encore limiter la pratique de l’exercice du droit d’initiative et donc empêcher, notamment, le lancement d’initiatives spontanées par des organisations extra politiques. Il s’agirait également de fixer un délai pour la récolte des signatures ainsi que le nombre de ces dernières. Autre idée : améliorer la transparence en obligeant l’explicitation dans le texte de l’initiative des conflits de normes qui résulteraient de son acceptation ainsi que de préciser les conséquences du conflit et la manière de le résoudre, le Conseil fédéral ayant également l’obligation de présenter un contre-projet. Une autre proposition de réforme serait de renforcer la légitimation démocratique du droit international. Ces quelques exemples illustrent enfin la nécessité de trouver un équilibre judicieux entre le droit populaire interne et le droit international, de trouver un compromis entre le droit populaire résultant de l’identité nationale et le respect du droit international qui découle de notre conception d’un État de droit.
Mazer ne manque pas de rappeler, lui aussi, la dynamique actuelle qui se caractérise par la réaffirmation de la souveraineté nationale comme thème politique porteur lors des élections. Alors qu’à partir de la fin du XIXème siècle, la Constitution suisse se développe en accord avec le droit international, garantissant les intérêts de la Suisse, la tendance depuis les années 90’ se profile à contrario, en constatant la répétition grandissante des interventions parlementaires en vue de créer des obstacles au droit international. Depuis une vingtaine d’années il y a l’argument que le législateur, le Parlement, est libre de faire ce qu’il veut avec les articles constitutionnels. Aujourd’hui la tendance est à violer les traités internationaux ce qui traduit, bien sûr, la faiblesse d’un droit international affecté par un évident déficit démocratique.
Bref. Rompre avec le droit international pour plus de démocratie ? Le débat est ouvert.