Cyril Etesse: « Je remercierai toujours Anthony Joubert »

Cyril Etesse, moine shaolin de seconde nature, a présenté son spectacle électrisant ce vendredi soir au Lido Comedy & Club. Le marseillais à l’élocution pointilleuse a littéralement dynamisé son public venu en nombre pour l’acclamer. À la fin de son spectacle, il nous a livré quelques uns de ses petits secrets. Rencontre.

CyrilEtesse21Bonjour Cyril, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. « Shaolin », le titre de votre spectacle, est à l’opposé même de ce que vous livrez sur scène…

Oui. Le moine shaolin est très zen, très calme mais, en même temps, très précis dans ses gestes et dans son énergie. Et finalement, c’est un peu ce que je suis dans la vie et sur scène. Dans la vie, je suis quelqu’un d’assez calme, même réservé. Et puis sur scène, ça part très vite dans l’énergie. On m’a souvent parlé de ma bonne diction, etc… Alors c’est vrai, il y a une énergie que j’essaie de canaliser, de développer de façon très rapide et très précise. C’est ce qui a fait ma marque de fabrique et les gens ont plus tendance à se souvenir de mon travail, de mon personnage que peut-être d’autres humoristes qui font un peu comme les autres – du stand-up ou des sketches. Ils sont tous très drôles dans leur genre mais c’est vrai que des fois, il y en a tellement qui sont très bons que l’on ne se rappelle pas forcément de quelqu’un en particulier. Surtout à notre époque où beaucoup de sketches et les thèmes se ressemblent les uns les autres. C’est vrai donc que j’ai cette chance d’avoir ce personnage qui – sinon unique – me démarque un peu du travail des autres humoristes.

Vous avez fait beaucoup de passages à la télévision, toujours avec ce même personnage. Vous dites que vous n’êtes pas unique. Ce n’est pas vrai: vous l’êtes. Vous jouez de la comédie et non plus un simple stand-up…

Oui. Le terme de stand-up, pour moi, ne veut pas dire grand chose parce que c’est un terme qui est devenu tellement à la mode depuis 10 à 15 ans. Mais pour moi, Coluche faisait du stand-up, même quelque part, Fernand Raynaud faisait parfois du stand-up. Les vieux humoristes déjà s’adressaient au public, discutaient avec lui, parlaient de la vie de tous les jours. Coluche faisait alors aussi bien du stand-up que des sketches avec un personnage incarné. Quand il fait son sketch sur la publicité, c’est du stand-up. On a l’impression que le stand-up a été inventé par Gad Elmaleh, Jamel Debbouze: il n’y a rien de plus faux. C’est un terme à la mode mais c’est un univers comique qui existe depuis toujours. Donc, moi, j’essaie d’adapter des codes qui sont marquants pour le public. C’est ce que je dis en m’amusant dans mes spectacles. Quand je dis aux gens que je vais faire des sketches qui, finalement, sont déjà vus – parce que c’est dans l’ère du temps, le sketch raciste, engagé en général, le vulgaire, etc… – j’essaie de personnaliser tout ça avec mon personnage un peu hystérique et très speed, un peu moralisateur sans l’être qui donne des leçons sans en donner. Et ce personnage est un peu original, je crois. On m’a comparé à [Louis] De Funès, [Fabrice] Luchini dans la presse. C’est très flatteur et, en même temps, c’est très dur d’être déjà soi-même. Là, j’ai trouvé un personnage qui me correspond, qui plait, qui me permet de dédouaner un peu ce que j’ai envie de dire – parfois de façon un peu provocante, parfois plus légère. J’ai un personnage qui touche un peu tout le monde par son originalité, je pense.

Vous êtes un grand spécialiste de l’interaction avec le public. Votre spectacle est d’ailleurs basé sur cela. Votre écriture implique des réactions à travers le public, auxquelles vous êtes amené à répondre [de manière improvisée].

Oui, c’est pas faux. Mais ce n’est pas venu naturellement. Mon premier spectacle était vraiment une suite de sketches. Il y avait très peu d’interactions et je sentais que je tournais un peu en rond. Je n’aimais pas. Je n’avais pas trouvé mon personnage. À l’exception de la « petite vieille » [ndlr, une scène de son spectacle] – le sketch de fin qui était déjà dans mon premier spectacle – qui était la scène la plus drôle de mon spectacle précédent. Mais pas tellement par les vannes mais plus par la gestuelle et par le phrasé du personnage. Chose que faisait un petit peu – sans vouloir me comparer – Élie Kakou. Quand on l’écoute, il y a très peu de blagues dans ses sketches. Quand on les lit, finalement, c’est pas tellement drôle sur le papier. Par contre, il a une truculence, une gestuelle, une voix, un phrasé, qui fait que le sketch devient très drôle, à travers le personnage. Et le personnage de la « petite vieille » avec sa diction très rapide, cette folie irascible et cette mauvaise fois constitue un sketch qui cartonnait il y a une dizaine d’années, lorsque je l’ai créé. Et donc, je l’ai gardé dans le spectacle actuel – en rappel – et j’ai développé ce style à mon propre personnage et ça fonctionne plutôt pas mal. Après, évidemment, il y a des interactions parce que j’adore ça en fin de comptes. J’ai appris mon métier sans aller dans des cours de théâtres. Je n’ai jamais pris de cours, je suis un autodidacte. Mais j’ai beaucoup appris en regardant énormément de spectacles. Et pas qu’un seul type d’humour. Mon spectacle est assez varié. Mais je pense aussi que cela vient du fait que j’ai grandi avec un tas d’humour. Je suis très bon public et je peux rire aussi bien au sketch de Patrick Sébastien qu’à celui de Jean-Marie Bigard. J’ai beaucoup appris en regardant Bigard qui, lui aussi, a une diversité. On résume souvent Bigard à ses sketches dits « vulgaires » mais c’est quelqu’un est très interactif sur scène, qui peut faire des sketches, du stand-up qui rebondit sur tout ce qu’il se passe. J’ai été très influencé, à une époque, par l’écriture de Pierre Palmade, Pierre Aucaigne,… D’ailleurs Aucaigne me fascine dans sa folie. Donc, j’ai une « culture » humoristique assez large qui me permet d’exploiter ce que j’ai envie de dire d’une façon dont ça plait le plus. Il y a des sketches qui vont être plus interactifs, d’autres plus écrits, d’autres plus dans l’imitation et la facilité,… Ça me permet de faire un spectacle varié où les gens ne voient pas trop le temps passer surtout. Pour moi, c’est ça qui m’importe: c’est surtout que le gens passent un bon moment et ne voient pas l’heure tourner.

Vous êtes venus plusieurs fois à Lausanne, au Lido. Thomas [ndlr, le programmateur de la salle] a confirmé vos divers passages ici en début de soirée. Alors, combien de variations « Shaolin » a-t-il subies depuis ?

Alors, la première fois où je suis venu au Lido, c’était à l’ouverture de la salle. Je suis venu, à peu près, six fois au Lido. Deux ou trois fois ne plateau – c’est-à-dire avec plusieurs copains humoristes et chacun faisait 20 minutes de sketch – et trois à quatre fois en solo avec ce spectacle-ci. La première fois où je suis venu, c’était il y a quatre ans devant une assistance très réduite et avec les difficultés que cela peut comporter. Mais ça se passait déjà très bien et puis, petit à petit, il y a eu la télé, Ruquier et tout ça. Donc le public a grossi. Aujourd’hui, la salle était remplie et ça fait plaisir. On joue devant un public qui n’est pas acquis. Parce que, contrairement à ce que l’on pense, il ne suffit pas de passer à la télévision ou d’avoir eu un petit succès pour avoir à se contenter de peu. Ça, c’est la dernière chose à faire. Au contraire, pour moi, c’est maintenant que les choses deviennent difficiles et compliquées parce qu’il faut rester à la hauteur de l’attente que les gens placent en moi. Le spectacle est, ainsi, à la fois similaire – les textes sont les mêmes – mais il y a une grande part d’improvisation donc les gens peuvent revenir demain [ndlr, le 13 décembre 2014] et je suis sûr qu’il y a des trucs qui vont arriver. Il suffit qu’il y ait des choses qui se passent dans la salle – comme ce soir, où il y avait des spectateurs un peu dissipés, gentiment dissipés – pour que cela m’amuse. Tant que les variations de certaines personnes ne prennent pas le pas sur le spectacle ou sur le public, pour moi, cela me convient. Donc l’interaction, c’est très important. Mais le spectacle est le même sans être le même. Je pense que le spectacle est à 70% le même tous les soirs et à 30% – ce qui n’est pas négligeable – d’improvisations, de délires qui peuvent advenir, etc… C’est une forme de danger aussi. Mais je crois que les gens aiment bien voir des choses où ils vont se sentir vraiment concernés, où ils peuvent être, eux-aussi, un peu les stars de la soirée.

Le 30%, c’est votre création mais sur les 70%, se dénote aussi la patte d’Anthony Joubert, non ?

Anthony m’a énormément aidé. J’essaie de le remercier toujours autant je peux. Lui, Laurent Ruquier et Catherine Barma: ce sont trois personnes qui sont très chères à mon cœur et auxquelles je tient à remercier vivement. Anthony a été là à une époque où ce n’était pas simple pour moi. J’étais un peu déprimé. C’était une époque où c’était – pas noir mais – un peu pessimiste. [Humoriste], c’est un métier qui est très difficile et il y a des moments où on doute beaucoup même si on nous dit autour que ça marche, etc… Quand on joue dans des salles qui sont à moitié vides, que derrière [le rideau], on te dit: « c’est génial » mais que le public n’est pas là, c’est très compliqué. Il y a eu une période où ça n’allait pas, notamment en 2007-2008, parce que les gens ne venaient pas forcément. C’était dur. On avait beau te faire l’éloge de ton spectacle en loges mais malgré la promo, etc… on est tellement nombreux, alors pourquoi les gens viendraient plus me voir moi plutôt que les autres. À l’époque – Anthony est un ami de longue date – ça commençait vraiment à marcher pour lui. Il avait fait « Incroyable Talent » [ndlr, émission de télé-crochet diffusée sur la chaîne M6] et donc ça commençait à exploser pour lui. Et, un jour, on mangeait ensemble et il m’a dit que mon spectacle lui plaisait et qu’il voulait me mettre en scène. Pour ma part, je n’osais pas trop lui demander. J’avais vraiment envie de travailler avec lui mais il était déjà tellement occupé. Il travaillait tellement que je me suis dit qu’il allait me dire « oui » pour me faire plaisir mais qu’en fait, il n’aurait jamais le temps. Et là, c’était lui-même qui me l’avait proposé – de me mettre en scène, de voir un petit peu ce qui n’allait pas. Il a canalisé vraiment cette énergie. Il m’a décomplexé. J’étais très angoissé et très timide avant et Anthony m’a vraiment ôté tout ça. Je lui dois vraiment beaucoup parce que même si le spectacle, c’est moi qui l’écris de A à Z, il a trouvé des petits trucs au niveau du rythme. Il m’a indiqué certaines choses à enlever, d’autres à alléger. Il a vraiment un œil qui m’a énormément apporté. Et puis, ensuite, il y a eu l’émission de Laurent Ruquier [ndlr, « On n’demande qu’à en rire » sur France 2] qui m’a permis – pas d’exploser – mais en tout cas de me révéler au grand public et de faire en sorte que les gens, maintenant, savent un peu plus qui est Cyril Etesse. Ils se rappellent, en tout cas, de deux-trois sketches qui ont bien fonctionné sur « Ondar ». Il y a eu le sketch où j’ai imité le jury et Laurent Ruquier dont on parle encore, le sketch sur De Funès qui tourne encore en boucle sur YouTube, etc… Donc même si ce sont deux sketches sur les 35 que j’ai faits, et bien, les gens se rappellent vraiment de cela. Alors que peut-être que pour d’autres, qui ont fait plus de passages – ils sont peut-être plus connus que moi – leurs sketches ne sont pas immédiatement reconnaissables. Ce n’est pas méchant, ce que je dis. Je pense que c’est une réalité – en tout cas, c’est ce que j’observe autour de moi – et ça, c’est une grande chance que j’ai. Je suis très content d’avoir fait quelques sketches qui ont bien marché et que d’avoir duré. Si j’ai duré, c’est que le public et le jury m’ont suivi. Et puis, il y a eu des moments extraordinaires grâce à cette émission. J’ai rencontré mon idole, Jean-Louis Aubert, j’ai fait des choses incroyables… Ça a changé ma vie artistique, ça c’est sûr. Je tourne beaucoup plus, j’ai plus de contrats, on m’appelle davantage, j’ai fait des gros festivals, je suis un peu plus considéré par le métier aussi… Ça c’était d’ailleurs un peu une frustration pour moi: de ne pas être reconnu. J’avais déjà l’aval d’un petit public avant l’émission de Ruquier mais les professionnels me boudaient un peu, ne me programmaient pas facilement. Et là, depuis les passages à la télévision, il y a des gens qui ne m’appelaient jamais qui redécouvrent que j’existe. C’est une petite revanche. Je vais dans tous les endroits avec plaisir et c’est génial. Donc à Anthony Joubert, Laurent Ruquier et Catherine Barma, qui produisait « On n’demande qu’à en rire », je leur dois ce que je vis en ce moment. Donc pourvu que ça dure le plus longtemps possible (rires).

Vous revenez du Montreux Comedy Festival [ndlr, capacité de  2 800 à 4 000 personnes dans le célèbre Auditorium Stravinski]. C’est une toute autre ambiance de celle que vous avez connue ce soir au Lido [ndlr, jusqu’à 200 personnes]. De par la grandeur de la salle et celle du public, quelles sont, pour vous, les différences que vous pouvez trouver dans l’adaptation de votre spectacle  d’une salle à l’autre ?

En fait, j’essaie d’appréhender le spectacle toujours de la même manière. Je me rappelle à mes débuts – et ça m’arrive encore de jouer dans des assistances réduites – des aléas de la vie, des dates, etc… On n’a pas toujours des salles pleines. Ce serait génial ! Mais voilà, ça arrive. Mais j’essaie toujours d’avoir le même respect du public. Quand je chante ma chanson à la fin [du spectacle], où je remercie les gens d’être venus et de m’avoir accordé leur soirée, c’est toujours très important d’avoir ce respect des spectateurs. Qu’il y ait dix personnes dans la salle, 100 ou 1 000 comme ça arrive quand même de temps en temps [qu’on fasse de très grosses soirées], j’essaie de considérer le spectacle toujours de la même manière. Montreux, c’est une énorme machinerie, c’est un truc de fous, mais, en même temps, c’est pas le spectacle entier que l’on joue. C’est un plateau donc il faut aller un peu à l’essentiel. Il faut essayer de canaliser un sketch fort du spectacle pour le présenter. C’est à la fois génial et à la fois frustrant parce que à peine le temps de prendre ses marques et de s’amuser que déjà c’est fini et il faut laisser la place au copain. Là [ndlr, donc Lido], la salle est plus petite – et encore, je trouve qu’une bonne centaine de personnes dans une telle salle, c’est déjà chouette. Quand on tourne en café-théâtre, la moyenne c’est 50-60 places. Là, on était à 120 places et je trouve ça très bien d’avoir un public qui réagit. Il faut aller les chercher, il faut donner à chaque fois. Et on parlait tout à l’heure [ndlr, voir plus haut] de la part d’improvisation: je ne peux pas m’ennuyer parce que le spectacle est amené à avoir au moins 30% de différences entre chaque soir. Donc que ce soit Montreux, la grosse machinerie – où tu es à table et tu bouffes avec tes potes, Anthony Joubert et les décaféinés et à côté, tu as Laurent Gerra, les Chevaliers du Fiel, Raphaël Mezrahi: il y a un côté un peu surréaliste; c’est le supermarché de l’humour où tout le monde se croise sans se croiser – ou venir [au Lido], avec cette proximité du public, c’est tout aussi fort. Je dirais même que la vraie « vie », elle se passe là. Parce qu’à Montreux, les gens viennent voir des humoristes, des stars. Ils ne viennent pas voir Cyril Etesse, à la limite c’est tant mieux ou tant pis. Ici, les gens sont venus voir mon spectacle. Donc je ne dis pas que je retirerais plus de fierté mais je suis content, en tout cas, d’être programmé dans des lieux qui me donnent ma chance, qui continuent à me faire travailler et d’avoir un public qui vient tous les soirs remplir mes salles. C’est super important. En somme, Montreux ou Lido, pour moi, finalement c’est la même chose, le même plaisir.